Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/377

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vaguement qu’il ne suffit pas à une bobine électrique d’être le nœud du progrès moderne pour devenir un agréable sujet de contemplation, et que, si la locomotive porte un monde nouveau dans ses flancs et éveille pour le moins autant de suggestions que le cheval de Phidias, cependant une frise de locomotives courrait risque de plaire infiniment moins que la cavalcade des Panathénées. On comprend enfin que, si le Christ en redingote n’est ni moins religieux, ni moins rationnel que le Christ en pallium ou en simarre, il y a beaucoup de chances pour que l’on fasse du premier une figure moins esthétiquement belle que du second.

Au lieu de tant philosopher, dirions-nous volontiers aux artistes, regardez avec vos yeux et jugez selon votre goût de ce qui est beau et de ce qui est laid, de « ce qui fait bien » et de « ce qui fait mal ». Ne vous préoccupez pas de faire un Christ pour les socialistes, ni un Christ pour les néo-chrétiens, ni un Christ pour les analystes de l’âme moderne. Faites un Christ pour les amoureux de la Beauté : c’est le seul qui soit sûr d’être adoré. Ne songez pas trop à ce qu’ont pu penser les Primitifs au fond de leurs cloîtres, ou les Renaissans dans leurs cortile ; ne cherchez pas à ressusciter les « états d’âme » de Masaccio ou de Lippi, ni à hausser vos figures à la psychologie des leurs. Tous ces grands mots cachent des pièges. Songez à faire une œuvre plastiquement belle. Et alors sur la Question qui vient de nous occuper, votre verdict n’est pas douteux. Qui que vous soyez, étant artistes, vous jugerez que la tunique et le pallium du Christ, c’est le beau, que le vêtement moderne c’est le laid, et votre bon sens aura triomphé, sans phrases, d’une gageure ou d’un malentendu.

Le centurion de l’Évangile ne voulait pas que le Christ entrât dans sa maison. « Dites seulement une parole, et mon serviteur sera guéri ! » Hélas ! nous ne savons trop le mot miraculeux et divin qui guérirait la maison moderne du mauvais goût pharisien qui l’envahit, ni le vêtement des préoccupations utilitaires qui l’enlaidissent. Mais, du moins, n’y faisons pas entrer le Christ ni aucune des grandes figures qui ont laissé parmi les hommes un souvenir de beauté. Attendons d’avoir une architecture sobre et grande, un vêtement esthétique, une vie calme et noble. Avant de figurer l’Homme-Dieu comme un contemporain et un compatriote, attendons que les hommes soient redevenus semblables à des dieux.


ROBERT DE LA SIZERANNE.