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un discours dont la péroraison jeta la Chambre en un trouble profond : « Voilà, en face de votre ouvrage, les paroles qui me sortent du cœur, de ce cœur qui, depuis vingt ans, soupire et pleure pour la patrie ! » Or, le ministère était à peine formé que M. Bonghi portait sur lui le jugement suivant (dans une réunion électorale à la Petite Bourse de Rome) : « Le ministère que M. Crispi a constitué peut être tenu pour sérieux. Ce n’est pas qu’il ne me paraisse sujet à beaucoup de si et de mais, seulement je crois pieux de les garder en moi, ces si et ces mais… M. Crispi se doit rappeler que, si son nom a été accueilli avec quelque faveur, c’est parce qu’il a la réputation d’un homme fort… Cette opinion a dissipé tant d’autres objections et de si graves. Un homme fort veut dire un homme qui prend ses décisions promptement et affronte sans sourciller la responsabilité de leur exécution. Il a semblé au pays, dans les derniers jours du ministère Giolitti, qu’il était menacé de dissolution, qu’il ne devait pas tarder à tomber en ruines. Il faut que M. Crispi, par son premier acte, le rassure. Il faut que le jour même où il apparaîtra à la tête de l’Etat, où le roi aura reçu son serment, une volonté ferme et large apparaisse, arrivée au gouvernement avec lui, une volonté qui ne recule devant aucun sacrifice, qui sache demander à soi et aux autres le sacrifice de leurs affections et… de leurs revenus. Telle fut, telle se montra la volonté de Quintino Sella, dans un moment moins grave pour les finances italiennes que ne l’est le moment actuel. Le vers de Dante vient à propos : « Il faut qu’ici toute lâcheté soit morte.


Ogni viltà convien che qui sia morta. »


C’est ainsi, c’est dans cet esprit et avec ces restrictions, que l’opinion publique en Italie apprécie la rentrée de M. Crispi aux affaires. Elle réclamait, elle accepte M. Crispi, mais non le Crispi de 1887. Elle ne veut plus de la mégalomanie : « La seule mégalomanie qui soit maintenant permise à M. Crispi, dit ironiquement la Persévéranza, c’est d’être grandement micromane. » Il est impossible de ne pas être frappé de la netteté avec laquelle se dessine à tous les yeux l’exceptionnelle gravité de la situation. « Changer de route, changer de ton ». il n’est question que de changer. Le Crispi qu’on voit revenir doit être un Crispi repentant et changé, à la fois le même qu’il était et le contraire de ce qu’il était : le même par la promptitude de sa décision et sa hardiesse à assumer les responsabilités ; le contraire en tout le reste. M. Crispi n’a pas été le dernier à comprendre ce qu’il y a d’impératif catégorique dans ce vœu, hautement exprimé, du pays, et peut-être même a-t-il mis quelque affectation à faire voir qu’il