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contribuables ne payeront pas ! » criait l’autre jour l’extrême gauche à M. Crispi : « Ils payeront ! » dit-il, avec un coup de poing sur la table. Est-il défendu d’en douter, ’ lorsqu’on voit le nombre des saisies opérées, faute, par les intéressés, d’avoir acquitté des cotes de cinq ou de dix francs ? La recette sera mauvaise, si l’on est contraint de faire escorter le percepteur par les carabiniers. Au fait, la Sicile paraît être au commencement d’une révolution. Contre qui ? Contre le roi ? Pas du tout. On n’entend que « Vive le roi ! » Contre le ministère ? Les paysans, embrigadés dans les Fasci de Sicile, savent-ils seulement qui est ministre, à Rome ? Mais ils savent que la taxe est dure et que l’octroi retranche encore de leur maigre subsistance. Ils n’en veulent, pour le moment, qu’au fisc, à ses agens et aux propriétaires. Seulement, il serait prudent de prendre garde que les plus terribles des révolutions sont celles qui se font pour le pain quotidien, que le mouvement agraire en Sicile est lié étroitement à la politique fiscale, qu’il gagne sur le continent, dans les Romagnes et dans les Pouilles, et que c’est folie de défier les misérables, au-delà d’un certain degré dans la misère.

Le voilà donc, le cercle d’angoisse, dans lequel est prisonnier le gouvernement italien. Voilà dans quelles difficultés il se débat péniblement et, à y regarder de plus près, M. Crispi ne les a pas exagérées. Par bonheur, ces difficultés sont toutes à l’intérieur ; à l’extérieur, rien ne les complique ni les aggrave. Le roi Humbert l’a constaté lui-même ; l’année se présente sous les plus favorables auspices de paix entre les nations. Que les sociétés soient travaillées de toute espèce de convulsions, ce n’est que trop évident et c’est un mal dont on ne sait comment elles se pourront guérir, mais, puisque de tout mal naît un bien, en ce cas aussi, le mal ne va pas sans quelque bien, et c’est que chaque nation a assez à faire chez elle et sur elle-même sans se retourner vers et contre ses voisines. Y a-t-il lieu de se réjouir de ce bien plus que de s’affliger de ce mal, lequel est le plus tolérable ou le moins intolérable de ces deux fléaux, des luttes intestines ou de la guerre étrangère, les hommes d’Etat pourraient se poser la question, mais le plus souvent le fléau les en dispense, les frappe et ne les consulte pas. Ils ne sont pas toujours libres de choisir le mal qu’ils préféreraient et ils ont intérêt à ne pas déchaîner les deux à la fois, car l’un ne serait à l’autre qu’un dérivatif impuissant et la douleur n’en serait, après, que plus avivée. Il y a bien, par suite, comme un gage de paix entre les nations dans les difficultés intérieures de chaque nation, et l’on peut le dire sans un égoïsme cruel qui tirerait froidement son bien du mal d’autrui, puisque aucune nation n’est tout à fait indemne et que, socialistes, anarchistes ou nihilistes,