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sont entrés, une loi fatale contraint les gouvernemens à puiser, outre mesure, aux sources de la fortune publique, au risque de les tarir. En peu d’années, les impôts ont atteint partout des proportions qui excèdent la puissance économique de chaque pays. Ces nécessités engendrent la misère qui, déjà, se glisse, impitoyable, dans plus d’une contrée, dette détresse provoque à son tour, avec des troubles d’un autre ordre et non moins alarmans, des émigrations qui rappellent un âge reculé et le nouveau monde ne leur fait pas toujours un accueil sympathique. Nous n’assistons que trop souvent, en effet, au spectacle affligeant de foules nombreuses qui passent et repassent l’Atlantique, lamentable odyssée, sans rencontrer une terre hospitalière. Nées manifestement de l’abus des impôts, ces difficultés financières et sociales sont-elles et devront-elles rester le lot des nations les moins favorisées ? Pendant que l’Italie en est si sérieusement menacée, verrons-nous d’autres États s’en accommoder aisément ? Le croire, ce serait se bercer de coupables illusions. Aucune puissance ne possède des ressources inépuisables ; de façon qu’on ne sait plus si l’Europe est destinée à devenir la proie de la guerre ou bien celle de la misère. Celle inquiétante alternative mérite d’être envisagée sous tous ses aspects, et, après en avoir déterminé les causes, nous voudrions en calculer les effets.


I

L’Europe vivait dans une paix profonde et rien ne menaçait son repos, quand un prince, déjà mûri par l’âge, monta sur le trône de ses ancêtres. Nourrissant, depuis longtemps, des vues ambitieuses, le roi Guillaume Ier de Prusse n’eut, à son avènement qu’une pensée : elle fut pour l’armée, pour sa réorganisation, pour son développement. Que se proposait-il ? L’établissement de l’hégémonie de la Prusse en Allemagne. M. de Bismarck l’avait pressenti et annoncé pendant qu’il n’était encore qu’un agent diplomatique à Berlin. Le roi s’assura son concours en lui accordant, avec le pouvoir, toute sa confiance. C’est ainsi que le futur empereur et le futur chancelier, désormais étroitement unis, entreprirent résolument la lâche qu’ils ont remplie si glorieusement pour eux, si malheureusement pour l’Europe.

Leur première victime fut un agneau. L’agneau toutefois lit une ferme résistance ; il y mit tout son cœur ; mais le loup avait un compère, et les deux complices contraignirent le Danemark à leur faire abandon de ses deux plus belles provinces de Schleswig et le Holstein lui avaient été pourtant garantis par un acte solennel engageant toutes les grandes puissances à lui en assurer la paisible