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le paysan poméranien émigrent pour se soustraire aux bienfaits de la politique de M. de Bismarck. Les lourds impôts, la nécessité de conclure des alliances, de rester sous les armes, soit sur la frontière de l’ouest, soit sur la frontière du nord, démontrent au contraire, que le conseiller, d’accord avec le souverain, a inauguré la période des pesans fardeaux et des longues inquiétudes ; qu’ils ont jeté le pays sur le chemin de la ruine ou des luttes gigantesques ; à moins, comme nous le disions, que la menace d’un autre fléau, la guerre sociale, n’impose à tous les cabinets une entente garantissant aux peuples une ère nouvelle d’apaisement et de concorde.

Avons-nous besoin de dire les désastreuses calamités dont une nouvelle guerre accablerait l’Europe ? Chacun de nous les prévoit et en a le sentiment torturant. On ne détruit pas, en une campagne, des armées de plusieurs millions d’hommes ; on ne réduit pas des places fortes, semées, en grand nombre, sur toutes les lignes de défense et pourvues de tous les perfectionnemens de la technique moderne. La lutte serait donc longue, meurtrière, dévastatrice pour tous les pays qui en seraient le théâtre, sur le Rhin, sur les Alpes, sur la Vistule. On en a une si angoissante conviction que, souverains et hommes d’Etat, prenant la parole, tous, avec une égale ferveur, recommandent la paix, et par des professions de foi sans cesse renouvelées, en répudiant toute intention agressive, témoignent de leur ardent désir de la conserver. Mais sont-ils fidèles à ce programme en employant leurs veilles et leurs efforts à préparer la guerre, en maintenant un état de choses qui doit nécessairement l’engendrer ? On chercherait vainement, dans l’histoire, un précédent qui autoriserait à le croire. On n’arme pas pour la paix, on arme pour la guerre, surtout quand on y procède à outrance ; quand on arme avec cette passion, il arrive toujours un moment où l’on en vient aux prises. M. de Bismarck le savait bien quand il aidait le roi Guillaume à développer l’armée prussienne en Luttant contre la représentation nationale, en gouvernant sans budget, en consacrant, sans crédits régulièrement votés, toutes les ressources disponibles au service des forces militaires du royaume durant la première et la plus laborieuse période de son long ministère.

Ils doivent donc orienter autrement leur sollicitude et leurs soins, les souverains et les gouvernemens qui veulent sincèrement dissiper les points noirs qui s’accumulent aux quatre coins de L’horizon. Nous l’avons dit, et nul ne saurait nous contredire, avec le maintien de la situation actuelle, une puissance plus impérieuse que toutes les volontés réunies, la force des choses, ce que les anciens