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importantes, mais rapides, continues, sans repos, répétant distinctement le seul mot qu’elles sachent : Toujours, toujours.

Autour d’elles, à cette heure bénie de l’année, la nature semble ne pas entendre cette note mélancolique. Partout des fleurs, elles enveloppent une petite chapelle ouverte dont les six bancs me rappellent mon voyage de 1838 : le refuge du Saint-Gothard où je passai la nuit. Ici, je commence la montée de mon petit Saint-Gothard souabe. En bas, des bois, et, dans ces bois, de belles routes qui témoignent du soin intelligent avec lequel on les exploite. La France devrait bien prendre exemple.

Au-dessus des bois, des prairies blanches et bleues, bluets et marguerites. Tout au fond du paysage, des faneurs et des faneuses ; ce joli travail avive, égayé la contrée habituellement austère.

A Donaueschingen, tout près de la frontière du Wurtemberg, en pleine Forêt-Noire, on me montre cette poétique fiction, la source du Danube. Ce fleuve guerrier, si fier, qui fera tant parler de lui, naît humblement dans au baquet de pierre ; on vous dit que tout de suite il court à la rivière voisine, la Brège, mais je croirais bien plutôt que c’est la rivière qui lui est sacrifiée, qui se laisse médiatiser comme l’ont fait les Furstenberg, peut-être en punition d’avoir, au profit de leur ruisseau, médiatisé le grand, le farouche fleuve de l’Europe méridionale.

Ces princes dépossédés ont mis dignement ce qui leur reste de leur ancienne souveraineté, je veux dire leur maison, en commun avec ceux qui furent leurs sujets, en sorte qu’elle soit toujours sinon le palais de l’Etat, au moins la maison publique. Dans le beau jardin ouvert à tous, où on les voit se promener démocratiquement, mêlés à la foule, on organise en ce moment une fête agricole. Le dépôt des Minnesinger qui est ici, et ce berceau du Danube, attirent, dans la belle saison, de nombreux touristes.

Aujourd’hui, fête de Saint-Pierre et de Saint-Paul, tout le peuple est dehors, endimanché. Je suis frappé de l’originalité des costumes : grandes redingotes tombantes à brandebourgs, culottes courtes, gilets rouges, voilà pour les hommes. Les femmes, bas rouges que découvrent des jupes bouffantes dont les plis s’écartent, rayonnent, s’arrondissent dans le bas comme une cloche. Peu de femmes sont assez sveltes pour bien porter ce costume qui, depuis la ceinture, exagère les formes.

Grand mouvement à la fois religieux et rustique. Sur des chars parés de fougère, de jeunes faneuses rient, folâtrent, chantent…

Cette animation matinale réveille en moi un vif élan vers l’action, la production. Je reprends volontiers, pour mon prochain