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voit bien que le souffle va s’éteindre. Ce qui est plus triste encore, c’est que dans la lutte ingrate qu’elle a soutenue, son intelligence a faibli à la longue ; son esprit, visiblement, a baissé. Elle est maintenant au-dessous de ce que promettaient le noble front, les formes grandioses de cette tête pâlie, effacée.

Les peintures de Schnorr, au Palais-Royal, sont d’un tout autre caractère ; elles reproduisent toutes les scènes des Niebelungen que j’ai lues tant de fois dans ma jeunesse, qui m’ont tant passionné pour chacun des acteurs de ce drame héroïque et barbare.

La collection particulière du prince de Leuchtenberg mérite d’être vue. Il y a là un portrait solennel et tragique de Masaccio. Il est jeune encore, mais déjà très sévère, figure longue, jaune, les yeux pleins d’une gravité passionnée, gravité italienne, demi-monastique, l’inspiration du Campo-Santo.

C’est ici encore qu’est la Madeleine de Murillo. Non pas imaginaire ; celle-ci a vécu, aimé, souffert, pleuré… On ne peut dire qu’elle soit précisément belle. A part la superbe et soyeuse chevelure, rien de remarquable ; aucun trait pris à part n’est beau, mais l’ensemble est si doux, si bon, si humain ! Oui, c’est bien là un portrait vivant, car tout de suite, sans réflexion, on se demande comment on a pu la faire souffrir, cesser de l’aimer, l’abandonner ?… Les yeux, quoi qu’on fasse, ne peuvent s’en détacher. Quelque part qu’on se tourne, dans la galerie, toujours, toujours, le regard lui revient, et le cœur à la fin échappe dans un cri de pitié !…


Comment se fait-il que cette grande ville de Munich où il y a tant à voir, tant à apprendre, soit malgré tout cela si triste ? Trop de maisons sans doute, pour le nombre des habitans. Quelque chose du désert qui l’entoure, commence déjà dans ses rues larges et vides.

Aussi, une fois mes notes prises, j’échappe avec plaisir. L’ennuyeux Schleissheim, comme pour me punir de ma fuite, me poursuit pendant les trois lieues où je cours sur le plateau aride. Son souffle stérilisant finit avec lui à Freising. Je retrouve enfin les eaux courantes, les arbres, les fleurs. En haut, en arrière, les arbres du nord ; en avant, en bas, l’aimable et sérieuse vallée, les prairies, les moissons. Je m’achemine vers Ratisbonne, ayant en vue les collines demi-boisées, demi-moissonnées qui dominent le Danube. Et tout le long de la route, j’essaye de recueillir,