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mieux encore par l’indéfinissable esprit de vie morale qui circule parmi ses arbres chétifs et ses monts stériles.

Ceux-ci n’ayant pas, comme Venise, les rives de la Brenta, les belles campagnes de la Vénétie pour y bâtir leurs palais ; n’ayant que « l’ennuyeux Pegnitz qui ne coule qu’à regret et parce que c’est l’usage », dit Schiller, ont dû dépenser au dedans. De là cette accumulation singulière de monumens, d’objets d’art.

Sauf une petite banlieue cultivée sous les murs de Nuremberg, la plaine qui l’environne est stérile et mélancolique. La ville apparaît de loin, une île au milieu de la mer des sables, comme Venise dans la mer des eaux.

Le transit des denrées orientales que lui transmettait Venise, l’avait enrichie. Mais Venise ayant perdu son commerce, Nuremberg dut, fatalement, diminuer de vie, d’importance, de fortune. Ajoutez les guerres du XVe et du XVIe siècle contre ses anciens burgraves, les rudes Hohenzollern de Brandebourg, qui sans cesse ameutaient contre elle la noblesse avide et pauvre du Nord. La croisade teutonique ayant cessé, les chevaliers en cherchaient une contre les marchands qui allaient ou résidaient à Nuremberg.

Voilà surtout ce qui explique ces énormes tours, de formes variées, ces fortifications colossales, indestructibles, éternelles, du milieu du XVIe siècle, lorsqu’on craignait tout, les Turcs, l’empereur, les princes catholiques ; lorsqu’on avait à défendre, non seulement les biens terrestres, mais un bien nouveau : la Foi, le Credo de Mélanchthon dont on a mis ici la statue. Dès 1517, Hans Sachs disait : « Le rossignol de Wittenberg qu’on entend aujourd’hui partout. »

Outre ces fortifications générales, il y avait les fortifications particulières. Chaque maison bâtie en bonne pierre, sans crainte d’incendie, bien et solidement voûtée, fort peu ouverte par en bas, hasardait au second étage une jolie tourelle qui surveillait la rue et voyait venir… Enfin, au plus haut, la maison, décidément rassurée, se parait gracieusement d’un riche et fantasque pavillon, — comme une femme, vêtue simplement quant à la robe, veut être au moins coquettement coiffée.

C’est dans ce dernier étage, orné de sculptures, de peintures, de fleurs, que le soucieux marchand, que la femme craintive et pâle, que les enfans sérieux, sans espace pour jouer, s’égayaient un peu le soir… Cette disposition défensive se retrouve aussi aux fortifications de la ville, dans la promenade couverte qui les couronne, dans le long corridor qui servait tout à la fois à respirer