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sans sortir, et à surveiller la campagne. Ce corridor est, pour la ville entière, ce que la tourelle supérieure est pour la maison du particulier.

Partout l’art, mais l’art sérieux, le goût du grave, du simple, du durable.

Au cimetière, on est frappé de voir toutes ces tombes humbles et basses, pour échapper aux projectiles ennemis, richement incrustées de bronze, d’un bronze souvent admirable. Combien coûteux, combien aristocratique dans la simplicité apparente !

En revenant de ce cimetière Saint-Jean, où dort Albert Dürer le grand ouvrier, sur son dur oreiller de pierre, en sortant de Saint-Laurent, où Adam Kraft s’est mis sous son monument, a scellé l’ouvrier sous son œuvre ; de Saint-Sébald, où Vischer, en tablier de travail, ciseau à la main, s’est placé au point culminant du tombeau qu’il a sculpté, fondu avec ses cinq fils, — je rêve tout naturellement à cette grande légende, l’histoire de l’ouvrier allemand. Elle s’impose à l’esprit dans une ville qui a donné au monde, par les arts industriels, dans un même siècle, un si riche tribut.


Sur les murs de Nuremberg, si bien drapés de lierre, et fleuris de toutes plantes, s’accrochent aussi des plantes d’une espèce particulière, des lierres animés, des lichens vivans. Dans ces magnifiques tours du XVIe siècle, et dans l’épaisseur des murailles, dans les petites maisons si humbles qu’elles semblent avoir poussé là comme des mousses, habitent de pauvres créatures qu’on ne voit jamais circuler dans les rues, qui jamais ne sortent qu’un moment, le samedi, pour rendre l’ouvrage.

Ce sont ces prisonniers volontaires qui font, pour l’Europe, ces veilleuses, 365 pour trois liards ; ces trompettes de bois dans lesquelles nos fils, en bas âge, sonnent déjà leurs futures victoires ; ces arches de Noé remplies de tous les animaux de la création ; et les ménages au grand complet, avec tous les ustensiles de cuisine en bois de sapin, qu’alignent gravement les petites filles, et qui font encore aujourd’hui leur bonheur, en même temps que leur première éducation de ménagères. A côté, des jouets d’un prix plus élevé, sculptés au couteau, ne manquent ni d’adresse ni du sentiment des proportions. On sait que les bottiers, les tailleurs allemands, ont à un haut degré l’instinct de la forme vivante, mobile.

Lorsque l’apprenti a été longuement, durement élevé, raboté par son maître, lorsqu’il est devenu compagnon, il fait son tour d’Allemagne, travaillant quand il peut, ou mendiant. Plusieurs