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seules légions, ont été des bienfaiteurs des nations qu’ils soumettaient…

Tenir cinq ans, sept ans, 400 000 hommes, jeunes, braves, pleins de sève, habitués, pour les deux tiers au moins, aux plus rudes travaux, dans une complète inaction, c’est créer incessamment une pépinière de paresseux, c’est préparer la dégénérescence d’une population née énergique, attestant à son début la vitalité puissante du pays indépendamment des circonstances le cales.

Que faudrait-il au contraire pour la conserver, la développer ? Garder, autant que possible, au paysan-soldat, qui importe tant pour la France, ses occupations habituelles. Rien ne serait plus facile, par exemple en Afrique.

On préviendrait ainsi la désertion des campagnes ; on ne verrait plus le conscrit qui revient, qui doit reprendre la charrue, après tant d’années d’oisiveté, on ne le verrait plus trouver le soc trop dur et la terre ingrate, se hâtant de la quitter, de la vendre, s’il le peut, pour rentrer dans la ville où il fera toujours, d’ailleurs, un mauvais ouvrier.


Que de bons instructeurs, bien choisis, sachant leur affaire, nous fassent de bons soldats, je l’approuve fermement. L’armée est l’ancre sur laquelle s’appuie et prend force l’autre armée, celle des travailleurs.

Mais pour cette instruction est-il besoin de toutes les années du service ?

L’art militaire ne consiste pas seulement à faire de bons ouvriers de guerre, routiniers, n’ayant de préoccupation que celle du côté mécanique, automatique. Il faut tenir compte aussi des surprises que peuvent nous garder les guerres de l’avenir. Voyez ce qui est advenu lorsqu’un homme est apparu armé d’un art nouveau, d’une tactique imprévue : un Gustave-Adolphe, un Frédéric, un Napoléon ? La routine a manqué et tout avec elle ; il n’est plus resté rien.

Je me résume : une armée telle que je la comprends, loin de grever le budget de l’État d’une lourde charge, l’allégerait, l’enrichirait même, ce qui lui permettrait de créer, au besoin, des caisses de secours, de retraite pour ces bons travailleurs de la Patrie.


Je voudrais encore que la caserne continuât l’éducation, mais dans un sens large, donnant à chacun l’alimentation qu’il peut digérer.

Que de fois j’ai rêvé pour nos soldats aux bibliothèques de