Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/605

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

où la conquête musulmane et l’infiltration constante d’élémens étrangers a sensiblement agi sur la constitution sociale du pays, des classes nombreuses, celles par exemple des Pathans, des Beloochis, dont le nom atteste l’origine géographique pinson moins pure, sont affranchies de plusieurs lois qui caractérisent essentiellement la caste proprement dite. A un autre bout de l’Inde, dans le Bengale, nombre d’unités corporatives, tout en se rapprochant le plus qu’elles peuvent de la constitution consacrée pour la caste par les préceptes brahmaniques, sont dénoncées soit par leur nom, soit par l’autorité concordante de tous les témoins, comme des groupes anâryens imparfaitement assimilés ; elles ne sont enveloppées qu’assez arbitrairement dans les cadres de l’organisation hindoue. De même partout. En sorte que, partout, la notion de tribu ou de clan et la notion de caste se côtoient ou se pénètrent à des degrés divers. Il nous faut pourtant déterminer avec une approximation suffisante les traits les plus généraux qui caractérisent la caste, en tant qu’il est possible d’en ramener les dégradations à un type commun.

On a souvent, — particulièrement les Hindous élevés à l’anglaise, très jaloux au fond de l’approcher le plus qu’ils le peuvent leur race des noires et d’abaisser les barrières qui séparent l’Inde de l’Europe, — comparé les castes aux distinctions sociales qui existent parmi nous. La hiérarchie, assez instable suivant les régions, mais nettement établie dans chacune par le sentiment public entre les diverses castes, y fournissait un prétexte naturel. La caste pourtant ne correspond que de très loin à nos classes sociales. La constitution en est autrement forte, la portée autrement précise. C’est une institution, et une institution essentielle. Elle n’embrasse pas seulement la très grande majorité de la population de l’Inde ; elle y est si bien le cadre normal de la société, elle est si intimement liée à sa vie religieuse, que l’on a pu, non sans apparence, la considérer comme l’âme même de ce corps assez indéterminé, assez fluide, de coutumes et de croyances que l’on appelle l’hindouisme. Bien des doctrines plus ou moins hétérodoxes se sont élevées qui, — soit théoriquement et en termes exprès, soit indirectement et par la logique de leurs dogmes, — en attaquaient l’institution ou en minaient les fondemens ; ces doctrines ont disparu ou végété obscurément ; la caste a survécu indestructible. L’islamisme a de vive force pénétré dans l’Inde, il y a conquis une large place ; peu à peu la caste a triomphé de son opposition native, de ses répugnances ; presque toujours elle l’a enveloppé et retenu dans son invincible réseau. C’est en adoptant le type officiel de la caste que, de nos jours encore, les populations aborigènes qui sont demeurées le plus longtemps en dehors de la