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civilisation hindoue en forcent l’entrée et réclament une place au foyer commun.

Malgré les confusions que pourraient accréditer des inexactitudes de langage, il n’y a pas, à proprement parler, d’outcasts dans l’Inde. Les individus mêmes que des causes diverses chassent de leur caste native forment bien vite le noyau de nouveaux groupemens. Deux ressources seulement s’offrent à eux : ou de se faire incorporer dans des castes inférieures, ou de s’unir à des compagnons d’infortune pour constituer des castes nouvelles. Et de fait, on comprend que, dans le jeu normal de tous ces corps fermés, il n’y ait pas pour l’individu isolé de vie possible. Le Paria sur lequel, depuis Bernardin de Saint-Pierre, les âmes sensibles se sont attendries, n’est pas l’être esseulé et proscrit que l’on se figure. Le groupe auquel il appartient peut être très misérable, très méprisé : il appartient lui aussi à un groupe. Il y a des castes de Parias qui, malgré tout le dédain des brahmanes, ne se font pas faute d’avoir leurs prétentions : elles trouvent des voisines à dédaigner.

C’est dire combien fourmillent ces groupes de populations, castes ou tribus analogues à la caste. C’est par centaines qu’ils se comptent dans une province, J’en relève plus de cent vingt dans le seul district de Poona qui compte environ 900000 habitans. Encore ce chiffre ne donne-t-il qu’une idée imparfaite du morcellement réel. Il représente le nombre des castes proprement dites ; mais la plupart se partagent en subdivisions qui, malgré la communauté de nom générique, malgré l’analogie des usages et des coutumes, forment à plusieurs égards, notamment au point de vue du mariage, autant de castes distinctes. Dans ce même district de Poona, les Brahmanes, que, de loin et sur la foi des théories, nous sommes habitués à considérer comme une caste unique pour l’Inde entière, sont réellement fractionnés en quinze castes ; quelques-unes, et non des plus étendues, se scindent à leur tour en plusieurs subdivisions qui ne se marient point entre elles. Ainsi partout. Des tableaux d’ensemble, dressés sur les recensemens de 1881, ne consignent, pas moins de 855 castes différentes, comptant au moins mille membres ou réparties dans plus d’une province ou d’un État natif. En ajoutant celles qui sont moins nombreuses ou qui n’existent que dans une seule province ou un seul État, on arrive au chiffre de 1929. Combien encore ce calcul ne reste-t-il pas au-dessous de la vérité ! Il enregistre sous un seul article près de 14 millions de Brahmanes, 12 millions de Kounbis, 11 millions de Chamârs, etc. Or les uns et les autres, encore qu’ils revendiquent une dénomination identique, dans le fait, se résolvent en une multitude de castes secondaires qui