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l’éducation et l’usage du monde n’ont rien à envier aux femmes des plus riches planteurs.

Lydia Liliuokalani était de celles-là. Estimée des blancs, aimée des indigènes, sa popularité ne contribua pas peu, en 1874, à désigner son frère aux suffrages des deux Chambres appelées, après la mort de Lunalilo, à nommer le nouveau souverain. Il lui en témoigna sa gratitude en la faisant reconnaître pour son héritière présomptive au cas où il viendrait à décéder sans enfans. Rapprochée du trône, visiblement destinée à l’occuper, elle resta la confidente et l’amie du roi, plus âgé qu’elle de deux ans seulement et sur qui elle avait exercé une heureuse influence. C’était à cette influence discrète, aux sages conseils de sa sœur, que Kalakaua devait d’avoir évité l’écueil sur lequel Lunalilo, avant lui, et nombre d’autres jeunes nobles havaïens étaient venus échouer : les plaisirs faciles, la vie large et indolente entre les flatteurs et les favorites. Du passé et des traditions de sa famille, elle avait, ainsi que son frère, gardé la fierté de sa race, et, bien que mariée à un fils d’Américain, un sentiment instinctif de défiance contre les tendances annexionnistes. Ce fut elle qui, lorsque j’arrivai au ministère, décida son frère, alors membre de la Chambre des nobles, à se ranger de mon côté dans la lutte que je soutenais alors contre le parti américain et à me rallier les voix de ses amis.

Si cette attitude intransigeante vis-à-vis de l’annexion était pour aliéner les Américains, elle était aussi pour concilier au frère et à la sœur les sympathies des indigènes. Ils furent fidèles à Kalakaua et le firent roi ; ils sont restés fidèles à Liliuokalani, qui lui succéda, et dont l’influence personnelle, lors du coup d’État qui l’a dépossédée, avait seule conjuré un conflit sanglant.

Au lendemain de ce coup d’État qui faisait passer le pouvoir aux mains du parti américain et qui substituait un gouvernement provisoire au gouvernement légal, et une Constitution républicaine à une Constitution monarchique, le gouvernement provisoire, conscient de sa faiblesse et incertain de sa durée, n’avait qu’un objectif, de même qu’il n’avait qu’une raison d’être : l’annexion de l’archipel aux États-Unis. Son premier acte fut de nommer une délégation chargée d’aller la solliciter à Washington, et le même navire qui apportait en Amérique la nouvelle de la déchéance de la reine y débarquait les négociateurs accrédités auprès de M. Harrison.

Il était encore président en exercice, mais pour quelques semaines seulement : le 4 mars 1893, ses pouvoirs prenaient fin. Grover Cleveland son compétiteur et son successeur, avait été élu par une majorité considérable ; les démocrates l’emportaient et