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excellent caractère. Rien alors ne faisait prévoir qu’elle pût être appelée un jour à régner : l’ambition du frère n’allait pas au-delà d’un rôle politique, non plus que celle de la sœur au-delà d’un rôle secondaire à la Cour.

Elle avait tous droits d’y prétendre, de par sa naissance et sa fortune et, subséquemment, de par la position officielle de son mari. Beaucoup de gens se font encore, en Europe, une idée très fausse de cet archipel océanien. Les souvenirs que son nom réveille, et qui, pour bon nombre, remontent encore à la mort du capitaine Cook, les noms, singuliers à nos oreilles, des localités et des personnages, évoquent un monde grotesque de sauvages à demi nus gouvernés par un Soulouque polynésien avec ses princes, ducs, comtes et barons pieds-nus et culottes rapiécées, ou par un Dessalines haïtien armé d’une trique et escorté par son maître à danser. Il n’en est rien ; et, sans vouloir forcer la note, on peut dire que le palais du roi à Honolulu vaut ceux de nombre de petits princes allemands, que l’étiquette y est la même, que les réceptions y sont luxueuses, et que la société de Honolulu ressemble à s’y méprendre à celle d’Europe. Si elle en diffère quelque peu, ce n’est pas, comme on pourrait le croire, par le laisser aller des manières non plus que par la simplicité de la vie, et cela se comprendra si l’on tient compte de ce fait que l’aisance est générale, que nombre du fortunes se chiffrent par 200 000 et 300 000 francs de revenus ; qu’il en est qui dépassent de beaucoup ce chiffre ; que la vie matérielle est bon marché ; que, pour la même somme, on vit mieux à Honolulu qu’en France ; que les femmes sont aussi élégantes, les hommes aussi corrects ; enfin que le cadre seul est autre, et que ce cadre tropical se prête mieux aux manifestations extérieures de la vie sociale.

Elles y sont nombreuses et variées, et si des nuances, imperceptibles pour l’étranger, assignent ici, comme en tout milieu, à chacun sa place et son rang, ces nuances n’ont pas pour origine, ainsi que dans les pays autrefois à esclaves, la différence de couleur, ou, comme ailleurs, la fortune. L’un des traits caractéristiques de cet archipel, où l’influence américaine semble prédominer, est précisément l’absence de ces préjugés que l’on retrouve partout aux États-Unis et qui, aujourd’hui encore, frappent les noirs d’ostracisme et font de la richesse le critérium de l’honorabilité. Ici la race indigène n’a jamais été conquise ni soumise ; elle ne rappelle en rien la race nègre. Belle de formes et fière d’allures, cette race cuivrée, sans obséquiosité comme sans dédain vis-à-vis du blanc, est par lui traitée en égale, avec lui courtoise et polie. Les femmes kanaques de haut rang ont leur place réservée dans le milieu social, et celles qui à l’honorabilité personnelle joignent