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exercent surtout leur action destructive, qui finit par user sympathiquement l’organisme entier.

Aussi importe-t-il de considérer la sensibilité dans ses rapports avec l’intelligence. Ce ne sont pas les sensations brutes, mais les sentimens qui dirigent l’homme, et tout sentiment enveloppe une représentation intellectuelle, image ou idée. L’imagination d’une part, cette première forme de l’intelligence encore voisine de la sensation, et la pensée réfléchie, d’autre part, exercent une influence considérable sur la sensibilité. L’imagination est une des principales conditions du caractère vraiment sensitif. Supposez une vive impressionnabilité nerveuse et viscérale, mais une imagination obtuse, conséquemment une mémoire lente et faible : la sensibilité ne pourra plus s’exercer qu’en présence des objets : une fois ceux-ci disparus du champ de la représentation intellectuelle, tout retombera dans l’ombre et l’indifférence. Un historien de Burke a dit de lui : « Ses passions étaient vives, ce qu’il faut attribuer en grande partie à l’intensité de son imagination. » Bain, là-dessus, se récrie : il soutient que « l’imagination est le résultat des sentimens, non les sentimens celui de l’imagination. » Selon nous, il y a ici effet réciproque, mais l’imagination est absolument nécessaire, comme on l’a vu, pour changer la sensibilité purement nerveuse en sensibilité cérébrale. Les passions n’ont de durée que si on continue de s’en représenter vivement les objets, ce qui suppose une certaine ténacité de la mémoire imaginative. Dugald-Stewart, en ce sens, est allé jusqu’à dire, parlant de la lâcheté : « C’est une maladie de l’imagination. » Au moins peut-on soutenir qu’une vive imagination est nécessaire pour se représenter avec force ; et soudaineté toutes sortes de maux comme s’ils étaient présens ; si, de plus, la volonté est faible, on aura pour résultante la lâcheté.

On sait que l’étude des aphasies, au lieu de s’en tenir à des lois générales sur les troubles du langage, a déterminé certains types particuliers d’imagination, tels que le type auditif, le type visuel, le type moteur, qui emploient pour le langage intérieur des images différentes. M. Pierre Janet a même fait un ingénieux emploi de cette découverte pour l’explication des mémoires alternantes dans le somnambulisme : il a supposé que les sujets passaient d’un type à l’autre et perdaient ainsi ou retrouvaient des systèmes entiers d’images ou souvenirs. Ce qui est certain, c’est que la prédominance de tel mode d’imagination aboutit, par elle-même, à des traits typiques non seulement d’intelligence, mais de sensibilité ; et, plus généralement, de caractère.

Un malade de Charcot, qui avait une excellente mémoire visuelle, la perdit tout d’un coup, et pour les formes et pour les