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ne l’ont suscitée ni ne la guident. Si tant d’hommes consacrent leur effort, et quelques-uns leur vie, à restituer les monumens écrits du moyen âge français, ce n’est ni curiosité frivole, ni superstition littéraire, ni patriotisme d’érudits ; d’aussi médiocres causes n’eussent engendré que des effets mesquins.

Mais l’esprit qui les inspire est le même qui entraîne notre siècle, d’un effort égal de recherche passionner, aussi bien vers les époques les plus ternes que vers les plus brillantes, vers le byzantinisme comme vers l’âge de Périclès, vers les formes d’art les plus frustes comme vers les plus accomplies, vers les mythes sauvages comme vers les plus nobles cosmogonies, vers les chan sons de moujiks, vers la pâle littérature syriaque ou la répugnante littérature mogole aussi ardemment que vers Gœthe ou Pindare. Et ce n’est pas lassitude de blasés, curieux d’exotisme, avides de s’évader hors du cercle classique où nous tournons depuis la Renaissance ; ce n’est pas davantage la folie de l’érudition pour l’érudition. Mais c’est la croyance raisonnée que le but dernier. — qui est la science de l’esprit humain, — ne sera pas atteint par la seule introspection psychologique, mais par la recherche historique ; et que les formes rudimentaires ou dégénérées de l’humanité peuvent être significatives à l’égal des plus harmonieusement belles. C’est la persuasion que les œuvres littéraires d’une époque quelconque et celles-là même qui répugnent à notre goût, importent également, non parce qu’elles sont belles, mais parce qu’elles sont. Elles sont des faits historiques, les plus complexes de tous, mais aussi les plus caractéristiques ; et comme elles sont les matériaux nécessaires de l’histoire de l’homme, il les faut connaître intégralement, non pas en beaux esprits, mais en historiens. Il ne suffit pas de les considérer sous la catégorie du beau, car elles ne valent pas seulement selon qu’elles nous plaisent ou nous déplaisent. Il ne s’agit pas, en les étudiant, de rechercher notre jouissance égoïste et immédiate ; de nous livrera ce jeu, inoffensif et permis sans doute, mais vain, qui mesure les œuvres des âges les plus divers à la toise commune de nos préférences littéraires ; qui les juge, soit au gré de nos impressions du jour, mobiles et ondoyantes, soit, plus ambitieusement, au nom de lois esthétiques universelles, par nous décrétées : car, c’est toujours, eu dernière analyse, notre goût individuel qui les juge, dont la science n’a que faire. Il ne s’agit pas de s’en tenir à cette critique de rhéteurs ou de rhétoriciens, fruit de notre éducation trop formaliste, héritage des humanistes de la Renaissance, qui se borne à blâmer ce qui diffère de nous, à louer ce qui nous ressemble ; qui, si elle était conséquente, n’étudierait jamais que les mêmes chefs-d’œuvre : point de vue excellent dans l’éducation des enfans ;