Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 122.djvu/106

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de sa caste. Il faut qu’il étudie, comme novice, les écritures et les règles du sacrifice ; plus tard il se marie et fait souche de fils qui continueront la tradition des cérémonies familiales. Il en est qui se retirent dans la solitude pour s’y livrer à une vie d’austérités. Il en est qui, plus détachés encore de la terre, se font ascètes mendians. Sous la main des théoriciens, ces quatre conditions deviennent les étapes régulières et, s’il se fallait lier aux apparences, obligatoires, de la carrière d’un brahmane. Prendrons-nous cette exigence fut sérieux ? Nous serions loin de compte si, d’après les textes, nous nous figurions tous les brahmanes uniquement adonnés à l’étude et à la pénitence, partageant leur carrière en quatre périodes et consacrant les deux dernières à la vie d’ermite et à la profession de fakir errant ! Les rédacteurs des livres ont simplement soudé en un système des faits isolés, plus ou moins exceptionnels, prêté un aspect impératif à ce qui n’était qu’un idéal de perfection rarement réalisé. N’avons-nous pas vu le théoricien littéraire créer une catégorie dramatique pour une seule pièce, et généraliser un cas si particulier en un précepte universel ?

Ces législateurs religieux et moralistes obéissaient donc à un penchant naturel très puissant sur l’esprit hindou. Ils obéissaient aussi, plus ou moins sciemment, il n’importe, à une tendance personnelle, intéressée, dont l’action partout apparente achève d’enlever à leur œuvre l’autorité d’un témoignage sûr. Avant tout, ils se proposent de consacrer la suprématie absolue des brahmanes. Tout chez eux est rapporté à cette glorification, tendu vers cet intérêt. Sortis de leurs écoles, les livres sont calculés pour exalter leur pouvoir, fortifier leur prééminence. Maîtres exclusifs de la littérature, ce sont eux aussi qui ont donné leur forme aux traditions épiques ; il est naturel que, malgré des dissonances accidentelles, elles reflètent, avec autant d’insistance que la littérature sacerdotale elle-même, les prétentions des brahmanes, qu’elles signalent avec une emphase égale les privilèges qu’ils revendiquent. Non seulement les Livres de lois réservent aux brahmanes toutes les fonctions influentes, toutes les faveurs ; l’échelle de la répression criminelle est invariablement graduée à leur profit. On a vu comment le Conseil représentatif ou l’Assemblée générale de la caste, sous la direction de son chef attitré, a mission d’exercer la police intérieure, de prononcer les exclusions nécessaires ou de régler les termes de la composition au prix de laquelle le délinquant pourra y échapper. Manou et Yajnavalkya ne parlent à cet égard que de réunions de brahmanes versés dans les saintes lettres. La préoccupation d’étendre le pouvoir brahmanique est