un habit de beau velours, douze chemises, six paires de chausses
de toile de Rouen, quelques cols de Hollande, une douzaine de
mouchoirs et deux cents pesos dans un bassin, le tout en cadeau
et par pure galanterie, sans préjudice de la dot. Je reçus le
présent avec plaisir et haute estime et composai la réponse du mieux
que je sus, en attendant de lui aller baiser la main et me mettre
à ses pieds. Je celai ce que je pus à l’Indienne et, quant au reste,
je lui donnai à entendre que ce gentilhomme, mû par son
inclination pour moi, avait voulu fêter mon mariage avec sa fille qu’il
estimait beaucoup. Les choses en étaient là, quand je doublai le
cap et disparus. Je n’ai jamais su ce qu’il était advenu de la
négresse et de la nièce du proviseur.
Parti de Tucuman, comme j’ai dit, je piquai droit sur le Potosi qui est à quelque cinq cent cinquante lieues de là. Je mis trois mois à les faire, chevauchant par terre froide et presque partout déserte. Je rencontrai bientôt un soldat qui tirait du même côté. J’en fus aise, et nous fîmes route ensemble. Peu après, trois hommes, coiffés de monteras et armés d’escopettes, sortirent de huttes sises au bord du chemin et nous demandèrent la bourse. Il n’y eut pas moyen de les en détourner ni de leur persuader que nous n’avions rien à donner. Il nous fallut mettre pied à terre et leur faire tête. Nous nous tirâmes dessus, ils nous manquèrent ; deux d’entre eux tombèrent, l’autre s’enfuit. Nous remontâmes à cheval et poursuivîmes notre route.
Finalement, à force de marcher et peiner, nous parvînmes au Potosi après plus de trois mois. Nous y entrâmes sans connaître personne, et chacun tira de son bord pour faire ses diligences. Quant à moi, je fis rencontre de don Juan Lopez de Arquijo, natif de la cité de la Plata dans la province de las Charcas, et m’accommodai avec lui pour camarero, qui est comme qui dirait majordome, avec salaire appointé à neuf cents pesos l’an. Il me confia douze mille moutons de somme du pays et quatre-vingts Indiens, avec lesquels je partis pour las Charcas. Mon maître y alla aussi. À peine arrivés, il eut avec d’aucunes gens des ennuis et débats qui finirent en querelles, prison et saisies, à la suite desquelles je dus prendre mon congé et m’en revenir.
De retour au Potosi, survint la révolte de don Alonso Ibañez. Le corrégidor don Rafael Ortiz, de l’habit de Saint-Jean, rassembla contre les rebelles, qui étaient plus de cent, une armée. J’en fus. Nous sortîmes et les rencontrâmes, une nuit, dans la rue de