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damna à mort. J’en appelai, mais, ce nonobstant, il fut ordonné de passer outre à l’exécution.

Je mis deux jours à me confesser. Le suivant, la messe fut dite dans la prison et le saint prêtre, ayant consommé, se retourna, me donna la communion et revint à l’autel. Tout aussitôt, je crachai l’hostie que j’avais dans la bouche et la reçus dans la paume de la main droite en criant : — J’en appelle à l’Église ! J’en appelle à l’Église ! — Le tumulte fut extrême. Tous disaient que j’étais hérétique. Le prêtre vint au bruit et défendit que personne m’approchât. Comme il achevait sa messe, le seigneur évêque don fray Domingo de Valderrama, dominicain, entra accompagné du gouverneur. Prêtres et peuple s’assemblèrent, les cierges furent allumés, le dais apporté, et l’on me mena en procession au tabernacle. Là, tous à genoux, un prêtre revêtu de ses ornemens me prit l’hostie de la main et l’introduisit dans le tabernacle. Je ne vis pas où il la mit. Ensuite on me gratta la main, on me la lava à plusieurs reprises et on me l’essuya. Après quoi, l’église évacuée et Leurs Seigneuries sorties, je restai seul. Un saint religieux franciscain qui était dans la prison, et qui en dernier lieu me confessa, m’avait, outre ses bons avis, donné ce bon conseil.

Durant plus d’un mois, le gouverneur tint l’église cernée. Moi, je m’y tenais bien à couvert. Enfin, il retira les gardes. Un saint prêtre du lieu, par ordre du seigneur évêque, à ce que je supposai, après avoir reconnu les alentours et la route, me donna une mule et de l’argent, et je partis pour le Cuzco.



XVI



La cité du Cuzco ne le cède en rien à Lima en habitans et richesse. Tête d’évêché, sa cathédrale, dédiée à l’Assomption de Notre-Dame, est desservie par cinq prébendiers et huit chanoines. Elle a huit paroisses, quatre monastères de religieux franciscains, dominicains, augustins et de la Merci, quatre collèges, deux couvens de femmes et trois hôpitaux.

Là m’advint, au bout de quelques jours, une cruelle mésaventure réellement et vraiment non méritée, car je n’étais aucunement coupable, mais bien mal noté. Une nuit, à l’improviste, mourut don Luis de Godoy, corrégidor du Cuzco, cavalier des mieux doués et qualifiés de l’endroit. Il fut tué, comme on le découvrit depuis, par un certain Carranza, à la suite de contestations trop longues à déduire. L’auteur du méfait étant inconnu, on me l’imputa. Le corrégidor don Fernando de Guzman m’ar-