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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 122.djvu/152

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rêta et me tint cinq mois en prison et lourde affliction. Enfin, au bout de ce temps, Dieu permit que la vérité fût découverte et ma complète innocence en cette affaire. Je fus mis en liberté et déguerpis du Cuzco.



XVII



Je gagnai Lima. Don Juan de Mendoza y Luna, marquis de Montes Claros, était en ce temps vice-roi du Pérou. Le Hollandais battait alors Lima avec huit navires de guerre, et la cité était en armes. Nous lui sortîmes à l’encontre du port du Callao, dans cinq bateaux. Longtemps tout alla bien pour nous, quand notre nef amirale fut si rudement abordée qu’elle coula. Seuls, trois hommes purent s’échapper en nageant vers un navire ennemi qui les recueillit. C’était moi, un franciscain déchaux et un soldat. L’ennemi nous traita mal, nous bafouant et moquant. Tout l’équipage de l’amirale périt.

Au matin, nos quatre nefs, dont était général don Rodrigo de Mendoza, étant rentrées au port du Callao, on trouva en moins neuf cents hommes, parmi lesquels je fus compté comme perdu avec l’amirale. J’étais au pouvoir des ennemis, craignant fort qu’ils ne m’emmenassent en Hollande. Au bout de vingt-six jours, ils nous jetèrent, moi et mes deux compagnons, sur la côte de Paita, à une centaine de lieues de Lima. Après plusieurs journées de misère, un brave homme, apitoyé par notre dénûment, nous habilla et nous donna de quoi regagner Lima.

J’y demeurai environ sept mois, m’ingéniant du mieux que je pus. J’avais acheté un bon cheval, à bon marché, et je me plaisais à le monter en attendant mon départ pour le Cuzco. Un jour, prêt à partir, je traversais la place, quand un alguazil vint à moi et me dit que le seigneur alcade don Juan de Espinosa, chevalier de l’ordre de Saint-Jacques, me faisait appeler. Je m’avançai vers Sa Grâce. Deux soldats étaient là. À mon approche, ils s’écrièrent : — C’est lui, seigneur ! Ce cheval est le nôtre, c’est celui qui nous manque et nous en donnerons sans tarder des preuves suffisantes ! Des sergens m’entourèrent et l’alcade s’exclama : — Que faire ? Le cas est embarrassant. Moi, pris au dépourvu, je ne savais que dire. Inquiet et confus, je devais avoir l’air coupable, lorsqu’il me vint à l’idée d’ôter vivement ma cape, et, la jetant sur la tête du cheval : — Seigneur, fis-je, je supplie Votre Grâce de vouloir bien demander à ces gentilshommes quel est l’œil qui manque à ce cheval, le droit ou le gauche ? Ce peut être une autre bête, et ces messieurs peuvent faire erreur. — C’est juste, dit l’alcade. Vous