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d’eux. Je tirai mes armes, armai deux pistolets, et dis : — Vous ne m’aurez pas vivant, il faut me tuer pour me prendre. — Et je m’approchai de la berge. Alors un autre : — Seigneur capitaine, nous avons des ordres, et il faut bien marcher, mais nous sommes tout au service de Votre Grâce. — Et ils étaient toujours arrêtés au beau milieu de l’eau. Je leur sus gré du bon procédé. Déposant sur une pierre trois doublons, je remontai à cheval et, après force courtoisies, repris le chemin de Guamanga.



XX



J’entrai dans Guamanga et me logeai à l’hôtellerie. J’y rencontrai un soldat de passage qui s’éprit du cheval ; je le lui vendis deux cents pesos. J’allai visiter la ville. Elle me parut belle, pleine de beaux édifices, les meilleurs que j’aie vus au Pérou. Je vis trois couvens de religieux de la Merci, de franciscains et de dominicains, un couvent de nonnes, un hôpital, une multitude d’Indiens et nombre d’Espagnols. Le lieu est agréablement tempéré. C’est une plaine ni froide ni chaude, riche en froment, vin, fruits et grains divers. L’église est bonne, avec trois prébendes, deux chanoines et un saint évêque, don fray Augustin de Carvajal, religieux augustin, qui me fut secourable médecin. Il me manqua trop tôt, trépassant subitement l’an mil six cent vingt. Il était évêque, à ce qu’on disait, depuis l’an douze.

Je séjournai quelque temps à Guamanga, et le guignon voulut que j’entrasse parfois dans une maison de jeu. Un jour que je m’y trouvais, le corrégidor don Baltasar de Quinones survint, et, me regardant, me demanda d’où j’étais. — De Biscaye, répondis-je. — Et d’où venez-vous présentement ? — Du Cuzco. — Il resta un moment à m’examiner, et dit : — Je vous arrête. — Bien volontiers, repartis-je, et, tirant l’épée, je reculai vers la porte. Il se mit à crier : — Main-forte au Roi ! — Je rencontrai à la porte une telle résistance, que je ne pus sortir. Je montrai un pistolet à trois canons. On me fit place et je disparus pour aller me cacher au logis d’un nouvel ami que je m’étais fait. Le corrégidor partit et fit saisir ma mule et quelques menues choses que j’avais à l’hôtellerie.

Je demeurai plusieurs jours chez ledit ami, ayant découvert qu’il était Biscayen. Cependant on ne sonnait mot de l’aventure, et la justice ne semblait pas s’en occuper. Néanmoins, il nous parut prudent de changer d’air ; il n’était pas plus sain là qu’ailleurs. Le départ fut décidé. Une nuit, je sortis. À peine dehors, ma malechance me fait rencontrer deux alguazils, — Qui va là ?