Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 122.djvu/202

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

second devait pourvoir à l’exécution de ces actes. Les principaux agitateurs se partagèrent entre les deux comités, qui comptaient chacun huit à dix membres.

Déjà Goldenberg et Kviatkovsky avaient fait partie de la réunion de six personnes qui décida l’attentat du Jardin d’Eté, au mois d’avril 1879, par les mains de Solovief. Le sort était tombé sur ce jeune homme, on l’avait muni d’un revolver et d’une capsule de poison, il avait obéi. A Lipelzk, on décréta la lutte à outrance contre le gouvernement, au moyen des explosifs. La première application de ce programme fut la triple tentative sur le train impérial, en novembre 1879. Tichonof et Okladsky, deux des prévenus qui comparaissent aujourd’hui, étaient préposés à la mine d’Alexandrovo : ils firent jouer leur batterie électrique au passage du convoi, le courant fonctionna mal, rien ne décela le danger auquel l’empereur venait d’échapper. La mine de Moscou avait été confiée à Chiriaef et à Hartman, établis depuis plusieurs semaines dans une maison à proximité de la voie.

Goldenberg ayant été arrêté à la fin de novembre, sa déposition finit naturellement du jour de son arrestation. A partir de cette époque, l’acte d’accusation retombe dans les conjectures. Néanmoins l’explosion du Palais d’Hiver est suffisamment éclaircie : elle fut machinée par un certain Chaltourine, entré en qualité de menuisier, sous un nom d’emprunt, au service de la maison impériale ; cet individu, qui travaillait dans le corps de garde, avait garni un poêle de dynamite ; il disparut après la catastrophe sans laisser de traces. Le procureur s’étend ensuite sur les affaires de moindre importance : typographie clandestine, résistance à main armée, distributions de subsides. L’accusé Drigo est désigné comme le répartiteur d’une fortune assez considérable, laissée au parti par le révolutionnaire Lissogoub, récemment exécuté à Odessa.

L’interrogatoire des prévenus a commencé fort tard dans la soirée et s’est continué le second jour. Kviatkovsky et Chiriaef, les plus gravement chargés, répondent bien ; leurs physionomies se détachent avec un certain relief sur l’ensemble de leurs compagnons. Le premier est un jeune homme de mine intelligente, proprement mis, l’air d’un employé de commerce aisé en France. Il s’exprime en termes justes, sans jactance ni faiblesse ; il avoue avec quelques restrictions sa participation aux attentats régicides. Chiriaef produit une impression plus vive ; tête très russe, la silhouette des christs slaves sur les icônes, avec une gravité marmoréenne sur des traits réguliers, fermes et fins. Il jette ses déclarations à haute voix, sans un détour, en homme qui a livré sa