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vie. Il avait décidé la mort de l’empereur, il l’a préparée avec Hartman. C’est certainement un convaincu, une victime pathologique. Zundélévitch, un juif à la physionomie mobile et avisée, répond avec plus d’ambiguïté à l’accusation d’avoir fait partie du comité dirigeant.

Tichonof et Okladsky, les deux complices qui ont chargé la mine d’Alexandrovo, donnent une autre note : des bravades de mauvais ton. La figure du premier est insignifiante, mais froide et décidée. Le second, gamin de mine crapuleuse, salement mis, rit d’un mauvais rire ; gavroche russe, fait pour la corde. Il pose devant l’auditoire ; il explique sa déconvenue quand la batterie électrique n’a pas fait jouer la mine, et ajoute : « Ça n’a pas été de ma faute ! » Autre méchante et basse face de criminel, ce Kobuilinsky, impliqué dans l’assassinat du général prince Krapotkine, et qui essaye de nier.

Les suivans se défendent plus ou moins contre les faits qu’on leur reproche. Ils se donnent pour des agens secondaires, ignorans de la direction générale. Le petit bossu Goulitch, le médecin de district, raconte avec de curieux détails comment il a été enrôlé dans la secte ; son récit nous renseigne sur les pratiques de la propagande en province. Deux des femmes confessent résolument leur collaboration à la typographie clandestine et la lutte qu’elles ont soutenue contre la police. La troisième dit appartenir au parti, mais elle nie sa présence à l’imprimerie.

Trois journées ont été remplies par les dépositions de témoins, les débats, les plaidoiries des jeunes avocats d’office, qui m’ont paru extrêmement faibles. Les accusés persistent dans les attitudes respectives qui les caractérisaient au début. Tichonof, Okladsky et Kobuilinsky apparaissent de plus en plus comme des bêtes de proie, sans idées personnelles ; ils ne prennent la parole que pour lancer des appels à la révolte, pour affirmer des convictions qu’ils ne définissent pas. Les comparses louvoient devant l’accusation ; quelques-uns sont visiblement partagés entre le désir de diminuer leur responsabilité et le point d’honneur de ne pas se séparer de leurs compagnons. Les coryphées, Kviatkovsky, Chiriaef et Zundélévitch, demeurent inébranlables dans leur langage ferme et modéré. Ils exposent leurs vues, — vues bien confuses, — sur la transformation de la société russe, qu’ils eussent voulu, qu’ils voudraient encore amener par de tout autres moyens. Ils s’efforcent uniquement de prouver qu’ils ne sont pas des hommes de sang, qu’ils n’ont été poussés au meurtre que par l’inéluctable nécessité de la loi du talion.

Le procureur a lu son réquisitoire, il demande la peine