Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 122.djvu/213

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que correct, mais auquel on ne peut reprocher de manquer de saveur ou de couleur[1].

A peine installé à Londres, ce qui frappe tout d’abord M. Malabari, c’est le climat. Rien n’égale le mépris que ressent pour le soleil de l’Angleterre ce descendant des Guèbres, des adorateurs de la lumière et du feu. Il croirait faire injure à la lune de l’Inde en lui comparant cet astre ténébreux. Il nous apprend que le 1er août 1890, vers une heure après-midi, au coin de Hyde-Park, il l’a contemplé de l’impériale d’un omnibus. Il nous donne sa parole la plus sacrée qu’il l’a regardé face à face, fixement, effrontément, et qu’il lui a fait peur, qu’il l’a obligé à se cacher derrière les nuages. « C’est un fait historique, et je le mentionne avec toute la solennité et la minutieuse précision qui conviennent à quiconque consigne dans ses tablettes un événement mémorable. Plus consciencieux que la plupart de nos savans modernes, j’indique la date, le lieu et l’heure. »

Passe encore si ce terne soleil avait des habitudes ordonnées, des règles de conduite ; mais il joue sans cesse à cache-cache, et quand il daigne se montrer, sa pâleur témoigne « qu’il est honteux du rôle qui lui est assigné dans l’économie de la nature. » Le pire défaut du climat de Londres est la versatilité de son humeur, ses caprices changeans et presque toujours désagréables, ses déraisons, ses perfidies ; il n’a pas d’autre règle que son dérèglement. La pluie, la neige, la grêle, les frimas, un vent du nord qui vous glace jusque dans les moelles, une atmosphère lourde et humide, la brume, le brouillard, et par instans une éclaircie subite et après le froid extrême l’extrême chaleur, vous pouvez avoir tout cela dans l’espace de quelques heures. Point de saisons fixes ; l’hiver est la seule sur laquelle vous ayez le droit de compter ; en revanche, vous pouvez avoir froid au fort de l’été, sans qu’il vous soit permis de vous en étonner ou de vous en plaindre. Ce qu’il y a de plus fâcheux, c’est que ces variations surviennent brusquement et que rien ne les annonce ; impossible de savoir si vous devez prendre votre ombrelle ou votre parapluie. Le ciel était presque pur quand vous êtes sorti ; une averse subite vous trempe jusqu’aux os, et vous rentrez piteusement chez vous à travers des rues converties en étangs. M. Malabari ne pouvait s’empêcher de rire quand il entendait un Anglais s’écrier : — Oh ! la belle journée ! — Il déclare que, quant à lui, il n’a jamais passé à Londres un seul jour qu’on pût qualifier de beau. « C’est tout au plus si on y a parfois une belle heure, un beau quart d’heure ou cinq belles minutes. Je n’exagère rien ; avez-vous eu cinq minutes de beau temps à Londres ? enregistrez en lettres d’or cet heureux événement. Mais il est

  1. The Indian Eye on English Life or Rambles of a Pilgrim Reformer by Behramji M. Malabari ; Westminster, 1893.