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nouveautés n’est-il pas la plus trompeuse de nos passions ? Trouve-t-on toujours ce qu’on cherche ? Que d’erreurs, que de méprises amères ! Si on se lasse d’une vie uniforme et réglée, ne se lasse-t-on jamais de sa propre inconstance ? La paix de l’âme est le premier des biens. Soyez de bonne foi, et vous conviendrez que rien ne la remplace, que ni les révolutions heureuses, ni les grandes découvertes, ni les plus savantes machines ne vous consolent de l’avoir perdue.

Si nous disons sans cesse : « Et après ? » l’Oriental dit : « A quoi bon ? » et nos vaines agitations lui font pitié. « Votre vie est une folle sarabande, s’écrie le plus sage et le plus ironique des Parsis, et vous expiez vos plaisirs par des souffrances aiguës. Vous vous dites : Gagnons beaucoup d’argent pour vivre un jour comme des ladies et des gentlemen ! Et en attendant l’heure du repos, qui ne viendra jamais, la fièvre vous ronge et vous use. Avides de nouveautés et esclaves de la mode, si absurde, si grotesque qu’il soit, vous pliez le genou devant le fétiche du jour. Demain vous serez à jamais dégoûtés de votre idole et vous vous en créerez une autre. Volez où le vent vous emporte, pauvres papillons à la courte existence et aux soifs ardentes ! Videz votre coupe de nectar empoisonné ! Quoique je ne m’associe point à vos vaines poursuites, Dieu me garde de vous blâmer ! Si vous n’aviez pas la fièvre, vous mourriez d’ennui. » Tout a sa rançon. Les peuples progressistes sont sujets à l’ennui, et la vue des choses qui durent les exaspère ou les consterne. Dans les contrées qui ont un vrai soleil et une vraie lune, le sage ne s’ennuie jamais. Assis sur ses talons, il se laisse vivre et regarde couler le temps comme coule l’eau d’un fleuve, qui croit remplir son destin en allant se perdre dans l’Océan.

Non seulement l’habitant de Londres est aussi changeant, aussi fantasque que le ciel de son pays, c’est aussi par la rigueur du climat que M. Malabari explique la terrible inégalité des conditions dans la société anglaise. Il a vu des hommes qui ne pouvaient faire le compte de leurs richesses et des gueux au visage émacié et livide, ramassant au coin des rues une nourriture dont les animaux n’auraient pas voulu, s’entassant pêle-mêle, sans distinction d’âge et de sexe, dans d’affreux bouges infects, s’y disputant l’air et la place, jurant, se battant, se foulant aux pieds les uns les autres, et il s’est dit que, comparés à ces brutes, les pauvres de l’Inde étaient des hommes.

La lutte contre les élémens aguerrit les forts, les endurcit à la fatigue, les rend capables de tout supporter, de tout oser et de tout entreprendre. Elle déprime, elle énerve les faibles ; dans l’état d’épuisement où elle les réduit, le travail n’est plus pour eux qu’une souffrance ajoutée aux autres et à laquelle ils tâchent de se dérober ; le peu de force qui leur reste ne leur sert pas à vivre, elle ne leur sert qu’à ne pas mourir. Dans les pays où le ciel est bleu, le soleil égalise les