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du Sahara, depuis le Niger jusqu’aux confins de la Tripolitaine, dans les bourgades du Touat et sous les tentes de cuir des Touaregs, que l’influence du drapeau tricolore sur les destinées politiques de cette région est inévitable.

La prise de Tombouctou aura en effet, bien qu’indirectement, un résultat analogue à celui qu’aurait eu l’expédition du Touat, préparée l’année dernière avec beaucoup d’adresse. Les troupes réunies par le gouverneur général de l’Algérie n’attendaient plus qu’un ordre de départ pour se diriger vers l’extrême-sud, lorsque l’affaire hispano-mauresque de Melilla fit rentrer les sabres dans les fourreaux. Notre ministre des affaires étrangères craignit de paraître, aux yeux de l’Europe, chercher à profiter des embarras du Maroc pour étendre notre colonie à ses dépens et suspendit les opérations projetées. D’ailleurs la politique suivie à l’égard des Touaregs par M. Cambon ne préconise la force qu’à la dernière extrémité et s’arrange pour n’y avoir recours que le moins possible. Les relations commerciales aujourd’hui établies avec les confédérations du nord-est sont un heureux résultat de cette conduite.

Si l’Angleterre voit sans jalousie la France se fortifier au Soudan, elle manifeste de plus en plus nettement l’intention de faire comprendre le bassin du Nil dans la sphère d’influence britannique. C’est ce qui donne à ses yeux tant d’importance à l’occupation de l’Ouganda, à laquelle elle se propose d’associer dans l’avenir un ou deux postes avancés sur le fleuve ; de façon que nul n’ignore parmi les États civilisés, — aussi bien ceux qui ont en ces parages des traités avec elle, comme l’Allemagne et l’Italie, que ceux qui n’en ont pas, comme la Belgique et la France, — que la Grande-Bretagne entend se charger seule de « protéger les sources du Nil », de la même manière qu’elle protège déjà l’Egypte. On l’a dit et le fait est incontestable : qui tient les sources du Nil domine l’Egypte ; dans l’hypothèse, bien entendu, où ces sources sont aux mains d’une puissance organisée et non des sauvages.

Cette opinion est si bien enracinée à Londres qu’un des seuls motifs qui pourrait faire relâcher le Foreign Office de son occupation du Delta égyptien serait peut-être la possession de la Haute-Egypte. Il continuera jusque-là à faire la sourde oreille toutes les fois qu’on lui rappellera ses promesses anciennes d’évacuation, et restera au Caire pour y accomplir la mission qu’il s’est imposée à lui-même, mission qu’il a si souvent déclaré être noble, grande et désintéressée qu’il en est arrivé à le croire.

Les conflits cependant renaissent souvent entre l’Egypte et l’Angleterre. Le tuteur a la main lourde et le pupille sent venir sa majorité. L’an passé c’était le khédive qui se trouvait en désaccord avec lord Cromer, et le cabinet de Saint-James croyait la situation assez grave pour doubler le corps d’occupation. Abbas-Pacha dut passer sous les