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L’Italie voudra-t-elle, pourra-t-elle assumer ces charges nouvelles ? Ce qui vient de se passer en Sicile est de nature à nous en faire douter. Si elle les repousse cependant, et si d’autre part elle persiste à ne pas entrer plus largement dans la voie des économies, c’est la banqueroute à brève échéance. Le premier ministre l’a suffisamment fait entendre. Quelque répugnance que l’on éprouve à Montecitorio pour les projets de M. Crispi, l’opposition doit être peu disposée, dans les circonstances présentes, à prendre le pouvoir, et M. Crispi lui-même doit avoir peu de goût pour une dissolution, qui l’obligerait à faire un appel au pays avec une plate-forme évidemment impopulaire. La situation de l’Italie, qui aurait pu être si belle, est donc, par la faute des gouvernans, pleine de tristesses et d’obscurités.

Tandis que de grandes nations, en s’abandonnant à des chimères, compromettent à plaisir l’avenir qui s’ouvrait pour elles sous les plus heureux auspices, de petits peuples, récemment appelés à la vie publique, cherchent dans le recueillement à tirer parti de l’indépendance qu’ils doivent à l’amitié, trop tôt méconnue, d’un puissant voisin. Telle est la principauté de Bulgarie, dont on n’a guère parlé jusqu’ici que pour en dire du mal, et qui vaut certainement mieux que sa réputation factice. Le premier souverain de cet État des Balkans, Alexandre de Battenberg, mort récemment comte de Hartenau, disait en montrant Sofia, du haut d’une terrasse surplombant sa capitale : « Qui croirait qu’une si petite ville puisse contenir tant de haines ! » Les haines s’apaisent à Sofia sous le prince jeune, actif, dévoué depuis sept ans aux intérêts de sa patrie d’adoption.

Le peuple bulgare, qui avait salué avec joie l’an dernier le mariage du prince Ferdinand avec la princesse de Bourbon-Parme, a vu, il y a quelques semaines, par la naissance d’un héritier de ce trône, croître les chances de fondation d’une dynastie nationale. Au point de vue économique et moral le pays, depuis son affranchissement, est en notable progrès : il compte près de 3 000 écoles pour une population de 3 millions 300 000 âmes ; l’instruction primaire est gratuite et obligatoire. En attendant la construction du chemin de fer central, destiné à faire communiquer la principauté avec le Danube et la Mer-Noire, diverses lignes secondaires sont, les unes presque achevées, les autres déjà en exploitation. Le budget augmente ; il est passé de 35 millions de francs en 1885 à 89 millions en 1893 ; mais les finances bulgares sont plus sagement administrées que celles d’autres petits États limitrophes ; et si le ministère a la prudence de borner ses ambitions diplomatiques, on n’aura pas à Sofia trop à se plaindre, ce nous semble, de la destinée.


V G. d’Avenel.
Le Directeur-gérant,
F. Brunetière.