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passés, — le rédacteur des Mémoires a scrupuleusement reproduit, dans l’un comme dans l’autre fragment qui viennent d’être cités, le récit même de Barras. Ces deux exemples montrent bien la méthode dont M. de Saint-Albin s’est inspiré dans l’exécution des volontés de son ami. Il a donné au texte authentique « le style convenable » ou ce qu’il a cru tel : et c’est précisément la tâche que Barras lui avait confiée[1]. Mais il n’a pas dénaturé, pas même altéré ce texte. Le titre de Mémoires de Barras sous lequel est connue depuis plus d’un demi-siècle la rédaction de M. de Saint-Albin, sous lequel elle a été communiquée à Michelet qui exprima le désir de la consulter lorsqu’il composait son Histoire de la Révolution, — n’est point une de ces annonces pompeuses et mensongères, destinées à allécher et à duper tout ensemble le public. C’est là, je pense, un point essentiel, qu’il importait de mettre pleinement en lumière.

A la fin de 1829, le travail de mise au net des Mémoires de Barras était déjà fort avancé. Une grave maladie dont fut alors atteint M. R. de Saint-Albin, puis les événemens de juillet 1830 en retardèrent l’achèvement jusqu’à 1832. À cette époque, tout étant à peu près terminé, MM. Paul Grand et Courtot ainsi que Mme de Barras déclarèrent qu’il fallait procéder à la publication des Mémoires. Le soin de la bonne renommée du défunt, disaient-ils, l’exigeait impérieusement. Les circonstances semblaient d’ailleurs favorables : les souvenirs de la révolution étaient plus que jamais en honneur depuis l’avènement au trône du fils de Philippe-Egalité ; les éditeurs faisaient les offres les plus avantageuses ; bref, M. R. de Saint-Albin n’avait le droit ni de priver Barras de la justification en vue de laquelle l’ex-directeur avait entrepris ces Mémoires, ni de priver ses co-légataires des bénéfices certains de la publication. M. de Saint-Albin objectait qu’aux termes mêmes du testament de Barras il devait être considéré comme seul juge de l’opportunité de la publication, de même qu’il avait été seul investi du soin de la rédaction, le codicille invoqué par M. Paul Grand ne conférant à celui-ci qu’un rôle tout à fait secondaire et subordonné. Il ajoutait que son travail

  1. Voir plus haut la lettre de Barras à M. de Saint-Albin, où il le charge expressément de rectifier et de rédiger un manuscrit et des notes autographes qu’il lui envoie. Ce manuscrit est probablement la très curieuse relation de ses deux voyages aux Indes, de 1776 à 1783, dans laquelle se trouvent les plus intéressans détails sur le siège de Pondichéry par les Anglais en 1778 et sur les campagnes navales du bailli de Suffren. M. de Saint-Albin n’a donné que la substance de cette relation dans les premiers chapitres des Mémoires. — Voir aussi plus haut l’exposé de M. Paul Grand au tribunal civil de première instance : « Restait à donner à ces notes (de Barras) le style convenable. » Elles sont en effet souvent informes, et il ne pouvait pas plus alors qu’aujourd’hui être question de les publier dans cet état rudimentaire.