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public du royaume pour les princes du sang, il ne saurait y avoir eu de sacrement. » Cette théorie ressemble fort à celle sur laquelle se fonde le mariage civil tel qu’il est aujourd’hui organisé. Elle fut défendue non seulement par Richelieu, mais par le Père Joseph, infidèle, dans cette occasion, à ses propres tendances et à l’esprit de son ordre. Rien peut-être ne montre mieux la toute-puissance exercée par le cardinal sur l’esprit de son collaborateur.

Cette toute-puissance s’évanouit dès que la politique n’est plus en jeu. Dans les questions d’ordre purement religieux les rôles sont intervertis. Le capucin prend avec Richelieu l’attitude et le ton d’un directeur de conscience ; il lui reproche son manque de ferveur. Comprenons bien la portée de ce blâme. Richelieu n’était pas un prélat incrédule, voyant dans la religion un instrument de gouvernement et rien de plus. Théologien, controversiste, évêque, il a enseigné, prêché, défendu les doctrines catholiques, sans onction, mais avec force et précision. D’autre part il n’admettait pas certaines croyances, tranchons le mot, certaines superstitions qui avaient cours de son temps. Nous voyons là une preuve de sa sincérité. Un sceptique n’aurait pas pris la peine de faire la distinction et aurait tout accepté en bloc. Dans la pratique, ses préoccupations politiques, ses goûts littéraires, ses habitudes de grand seigneur, ont fait de lui un assez tiède chrétien, surtout depuis son arrivée au pouvoir. Ses ennemis ont décrié ses mœurs : ils n’ont pas le droit d’être crus sur parole. S’il y a eu quelques faiblesses dans sa vie privée, du moins il n’en a pas fait étalage et il a laissé la postérité en doute sur ce point délicat.

Vers la cinquantième année, un réveil de ferveur religieuse se fit chez lui. Les événemens y contribuèrent ; le Père Joseph y aida. La confiance de Richelieu dans l’avenir de sa politique venait d’être mise à une rude épreuve. C’était « l’année de Corbie ». Les coureurs de Jean de Werth étaient venus jusqu’aux portes de Paris. L’émotion populaire avait été grande au premier moment. Plus tard les affaires prirent une meilleure tournure ; mais le capucin n’en profita pas moins des inquiétudes qu’avait ressenties Richelieu, pour agir sur sa conscience et sur son esprit. Sous son influence le premier ministre suggéra au roi la pensée de mettre la France sous la protection de la Vierge. En même temps il réforma sa vie. Il ne réduisit pas le faste de sa maison, qu’il regardait comme une des nécessités et un des attributs du pouvoir ; il ne renonça pas à la comédie et au ballet, amusemens réprouvés par l’Eglise, mais acceptés à cette époque par les prélats de cour. En revanche, il se montra plus attaché aux pratiques