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sans l’assentiment de la foule. Mais la foule est par nature rebelle à tout changement : elle ne rit ou ne s’émeut qu’autant qu’elle reconnaît les moyens qui sont depuis longtemps en possession de la faire rire ou de l’émouvoir. L’acteur est plus encore engagé au maintien des méthodes suivant lesquelles son talent s’est formé. Je ne cite que pour mémoire les directeurs de théâtre. Il n’est pas jusqu’aux salles de spectacle qui n’aient leur atmosphère, et jusqu’aux planches et aux portans qui ne se refusent à encadrer d’autres tableaux que ceux à qui ils ont servi maintes fois de cadre. C’est contre toutes ces routines coalisées qu’est obligé de lutter un auteur soucieux de nouveauté. Il lui faut triompher de toutes ces résistances ou, pour mieux dire, de toute cette force d’inertie. Dans cet effort vers le progrès et dans cette lutte pour l’art, il n’a de secours à attendre que de la critique. Elle seule peut l’encourager dans ses essais, l’affermir dans ses tendances et tâcher de les imposer au public. Pour notre part nous nous efforcerons surtout, dans ces revues, de profiter des indications que nous fourniront les pièces nouvellement représentées, afin de démêler dans les anciennes méthodes ce qui doit être abandonné et de discerner dans les plus récentes les élémens de vitalité qu’elles pourraient contenir et qu’il y aurait profit à fortifier et à développer. — À ce point de vue l’étude d’une pièce écrite par l’un des plus brillans représentans du théâtre d’hier et justement dans le même système qui avait cours voilà trente ans, ne peut manquer d’être instructive.

Cabotins est le contraire d’une pièce bien venue. M. Pailleron ne se fait sans doute à cet égard aucune espèce d’illusion. Et il est de ceux qui ont le droit d’exiger qu’on leur dise toute la vérité. Aussi bien l’une au moins des causes de son insuccès est-elle tout à sa louange. C’est qu’il a cette fois grandi ses ambitions et qu’il a placé le but très haut, au-delà même de ses forces. Il a aperçu l’une des plus fertiles matières qui s’offrent chez nous à l’observation du peintre des mœurs. Il s’est attaqué à l’un de ces sujets qu’alors même qu’on les a manques, il reste encore honorable d’avoir essayés.

Il y a pour toute société quelques travers, en petit nombre, qui en sont caractéristiques, parce qu’ils résultent directement des conditions de vie particulières à cette société. Aussi a-t-on coutume de dire qu’il n’y a dans chaque époque que trois ou quatre sujets pour la comédie de mœurs. Le cabotinage est l’un de ces travers dont nous pouvons revendiquer la propriété. Non certes que nous l’ayons inventé. Il a existé de tout temps. Il est aussi ancien que la vanité, dont il est une manifestation grossière et une forme exaspérée. Mais c’est parmi [nous que la mode s’en est répandue et de nos jours qu’il a reçu ses justes honneurs. On entend par cabotin un mauvais comédien. On se hâte d’ajouter qu’il n’est comédien si excellent qui ne soit un peu cabotin. De grands