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service et le caractère de l’armée. D’abord, il la rendit permanente. Auparavant on levait des troupes pour chaque expédition qu’entreprenait le peuple romain ; l’expédition finie, les soldats rentraient chez eux, et se reposaient jusqu’à la guerre prochaine. Auguste les retint sous les drapeaux, qu’on fut en guerre ou en paix, pendant un temps déterminé. La première conséquence de cette mesure fut de donner à la légion, qui auparavant se reformait à toutes les campagnes nouvelles, pour se dissoudre quand elles étaient terminées, une durée persistante. Elle se rajeunissait tous les ans par les recrues qui remplaçaient les soldats vieillis ou disparus, mais elle continuait d’exister. Dès lors chacune eut son état civil, son histoire, son nom. Celle de Numidie s’appelait « la troisième légion auguste » (legio tertia augusta), et cette désignation un peu longue était nécessaire pour qu’on pût la reconnaître. Comme Auguste avait incorporé dans son armée les légions de ses rivaux, il s’en trouva, dans le nombre, qui portaient des numéros semblables ; il les leur laissa de peur de les contrarier ; il y eut, par exemple, trois légions troisièmes ; seulement chacune d’elles prit un surnom différent pour se distinguer des autres. Celui que reçut la nôtre semble indiquer qu’elle avait donné des preuves particulières de son dévouement à l’empereur et qu’il voulait lui en témoigner sa reconnaissance.

Mais en donnant aux Romains des armées permanentes, Auguste n’avait pas l’intention d’entreprendre des conquêtes nouvelles : son empire lui semblait assez vaste ; il voulait seulement y maintenir la paix et le faire respecter des voisins. Dans la plupart des provinces, la tranquillité intérieure lui sembla suffisamment assurée par les milices municipales, et encore plus par la confiance qu’inspirait le gouvernement impérial. A l’exception de quelques villes importantes, comme Lyon et Carthage, qui reçurent des garnisons, il n’en laissa pas dans les autres, et presque toutes les légions furent distribuées le long des frontières, pour faire face à l’ennemi du dehors. Elles y vivaient dans des camps, où l’esprit militaire se conserve mieux qu’au milieu de la corruption des grandes villes, et en général ne s’éloignaient guère du pays où d’abord on avait fixé leur résidence.

La troisième légion ne paraît pas avoir jamais quitté l’Afrique. Elle y était à la mort d’Auguste ; elle y est restée jusqu’à l’époque où Dioclétien donna aux provinces et à l’armée une organisation nouvelle[1]. Nous la trouvons d’abord établie à Theveste (Tébessa) ; elle y était fort bien placée tant qu’il s’agit de défendre

  1. La troisième légion n’a subi dans son service qu’une seule interruption. Elle fut licenciée sous Gordien III pour avoir pris le parti de Maximin ; mais, quinze ans après, Valérien la reconstitua, lui rendit son nom et la renvoya servir en Afrique.