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troublée par Marat, Marat qui, ayant appris que Dumouriez a puni deux bataillons de volontaires coupables d’indiscipline, a fulminé un discours aux Jacobins, demandé qu’on lui adjoignît deux commissaires pour reprocher au général d’abandonner son armée, courir les spectacles, « et se livrer à des orgies chez un acteur avec des nymphes de l’Opéra », Marat, « l’épouvantail des ennemis de la patrie », qui, escorté des citoyens Monteau, Bentabolle, Dubuisson et Proly, entre comme un furieux et apostrophe Dumouriez : « Citoyen, une députation des amis de la liberté s’est rendue au bureau de la guerre, pour y communiquer les dépêches qui te concernent. On s’est présenté chez toi, on ne t’a trouvé nulle part. Nous ne devions pas nous attendre à te rencontrer dans une semblable maison, au milieu d’un rainas de concubines et de contre-révolutionnaires. » — Talma s’avance et prend la parole : « Citoyen Marat, de quel droit viens-tu chez moi insulter nos femmes et nos sœurs ? — Ne puis-je, ajoute Dumouriez, me reposer des fatigues de la guerre au milieu des arts et de mes amis, sans les entendre outrager par des épithètes indécentes ? » — Cette maison est un foyer de contre-révolutionnaires ! » hurle Marat, et il sort en proférant mille menaces, tandis que l’on contient à peine le chevalier de Saint-Georges qui voulait châtier cette insolence, et que Dugazon s’évertue à rasséréner les esprits, circule avec une cassolette pleine de parfums pour purifier l’air sur le passage de l’énergumène. Puis ce grand mystificateur mima à ravir le combat d’Arlequin et du dindon, dans la tragédie de Samson jouée autrefois à Toulouse ; et de rire, lorsque le dindon, ennuyé des taquineries d’Arlequin, va chercher protection dans la loge de messieurs les capitouls, auxquels on chante aussitôt :


Où peut-on être mieux qu’au sein de sa famille ?


Les romances de Garat, la flûte de Lefèvre, le piano de Mlle Candeille achevèrent de dissiper l’émotion de cette malencontreuse visite. Le lendemain on criait à travers les rues : « Grande conspiration découverte par le citoyen Marat, l’ami du peuple ! Grand rassemblement de girondins et de contre-révolutionnaires chez Talma ! »

Mlle Candeille, auteur de nombreux romans, de pièces de théâtre qui eurent quelque vogue, pianiste et harpiste excellente, comédienne agréable, bonne et spirituelle, mais un peu ridicule par son afféterie, son goût de la gloriole, avait un caractère romanesque qui la poussait à demander aux choses plus qu’elles ne peuvent rendre et par exemple au mariage un bonheur comme on n’en voit que dans les contes de fées. Elle semblait