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chez nous, et qui là-bas attirait de nombreux visiteurs. Mais ce qui me paraît bien plus intéressant encore à signaler, ce sont deux scènes populaires qui portent le nom de théâtres libres, parce que les représentations qu’on y donne sont exclusivement réservées à des abonnés formant entre eux une véritable société. Tous deux ont été fondés par M. Bruno Wille. L’un, le plus ancien, qui date de bientôt quatre ans, est actuellement soumis assez directement à l’influence du parti socialiste ; et c’est même le parti socialiste qui en chassa M. Wille, considéré comme trop anarchiste. M. Wille, qui est, il est vrai, anarchiste, mais un anarchiste partout ennemi de la violence, se contenta de fonder une seconde société semblable à la première. Toutes les deux prospèrent aujourd’hui, et comptent leurs adhérens par milliers. Et leur but n’est pas de faire de la propagande politique ou sociale, mais simplement, comme disent les statuts, d’offrir à leurs membres, moyennant une rétribution mensuelle de quelques sous, la possibilité de voir ou d’entendre de belles œuvres d’art, drames, tragédies, musique, etc., ou encore d’assister à des conférences où ces œuvres sont commentées et expliquées. Je m’imagine difficilement un groupe nombreux d’ouvriers ou de petits employés des quartiers populaires de Paris, de Montrouge ou de la Villette, réalisant une société comme celles-là, et se réunissant par salles combles l’après-midi de tous les dimanches pour entendre une tragédie de Corneille, une comédie d’Augier, ou encore une symphonie, un quatuor, comme leurs semblables de Berlin vont entendre du Beethoven, du Schiller, ou quelque comédie moderne. En Allemagne, ce mouvement s’étend, et il vient de se fonder à Hambourg une société analogue à ces deux sociétés de Berlin.

Comme je n’ai pas à m’occuper ici de la littérature dramatique elle-même, je passerai rapidement sur l’état actuel de cette littérature en Allemagne. Qu’il suffise de noter que, pendant ces vingt ou trente dernières années, il ne paraît pas que des œuvres un peu durables aient été produites. Contrairement à ce que nous pensons en France à ce sujet, la production n’a jamais cessé d’être abondante. De ce que nous ne connaissons pas les œuvres qui ont été produites, il ne s’ensuit pas qu’il n’y en ait point eu. De ce que nos plus récens vaudevilles ont toujours quelque chance, — pour peu que nous les ayons assez bien accueillis nous-mêmes, — d’être joués ensuite à Vienne ou à Berlin, et que seuls les échos de ces représentations parviennent jusqu’à nous, il ne faut pas conclure que seuls nos vaudevilles aient été joués là-bas. S’il y a bien à Berlin un théâtre, le Residenz-Theater, qui est presque exclusivement réservé à des traductions de pièces françaises, il y a d’autres théâtres, et nombreux, qui sont alimentés surtout par des pièces allemandes. Mais les doléances de la critique allemande sérieuse sont inimaginables sur ce qu’elle appelle le néant de ces pièces depuis une trentaine d’années. Ces productions paraissent en effet pour la plupart