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disent les Bambaras, pour les pères qui ont des fils lâches ; le courage du fils fait pénétrer une douce chaleur dans la fosse où reposent les ancêtres, et réjouit leurs ossemens. » Selon M. Jähns, la guerre ne sert pas seulement à réchauffer les tombeaux ; elle régénère les peuples corrompus, elle réveille les nations endormies, elle tire de leur mortelle langueur les races qui s’oublient et s’abandonnent. Il établit, il démontre que la guerre a été dans tous les temps l’un des facteurs essentiels de la civilisation, qu’elle a exercé une heureuse influence sur les mœurs comme sur les arts et les sciences. Il termine son livre en conjurant ses compatriotes de conserver à jamais leurs vertus guerrières, de ne point écouter les humanitaires qui leur prêchent l’arbitrage et l’esprit de conciliation. Il les exhorte « à tenir leur poudre sèche, à ne pas la laisser mouiller par les larmes infécondes des utopistes sentimentaux. »

Cependant M. Jähns fait aux pacifiques une concession ; il reconnaît que toutes les guerres ne sont pas également respectables. Il réprouve les guerres de brigandage, Ranbkriege. Ce sont là de tristes exploits qu’il faut laisser à ces peuples barbares dont la seule passion est l’amour désordonné du pillage et du butin, ou qui par orgueil ou par paresse répugnent à cultiver leurs champs et se procurent la main-d’œuvre en réduisant en esclavage leurs ennemis et quelquefois leurs amis. Sévère pour les brigands, M. Jähns ne trouve rien à redire à ce qu’il appelle « les guerres de croissance ou d’expansion, les guerres d’honneur, les guerres de jalousie, les guerres de cabinet ; » mais celles qu’il préfère à toutes les autres sont les guerres vraiment défensives ; ce sont les plus nobles, les plus glorieuses.

Malheureusement sa définition des guerres vraiment défensives laisse beaucoup à désirer. Il est arrivé plus d’une fois qu’un peuple qui désirait s’arrondir se déclarât lésé par ses voisins, inventât de spécieux prétextes pour leur chercher chicane, ou les contraignît par ses artifices à lui déclarer la guerre. C’est à cela que sert la savante politique des hommes d’État : quand ils ont du génie, ils excellent dans cet art particulier qu’on a appelé « la préparation diplomatique de la guerre ». Nous en avons vu récemment de très illustres exemples. En pareil cas, quel est le véritable agresseur ? C’est une question que M. Jähns n’a pas de peine à résoudre. Il faut lire son livre entre les lignes, et on découvre facilement le fond de sa pensée. Lorsqu’il parle de l’Assyrie, de Rome, de la Grèce ou des croisades, il raisonne en philosophe ; s’agit-il de l’Allemagne, le philosophe fait place à un chauvin, dont rien n’embarrasse l’audacieuse candeur. Selon lui, toute guerre entreprise par l’Allemagne est une guerre vraiment défensive : quiconque attaque l’Allemagne viole le droit des gens, et Louis XIV, la Convention, Napoléon Ier se sont déshonorés par des guerres de brigandage.

Il confesse toutefois que les Allemands furent dans tous les temps une race fort belliqueuse, que les principaux dieux des Germains, Odin,