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mammonisme. Mais, en se révoltant contre les rois de l’argent, la démocratie s’attaque moins à la richesse qu’aux riches. Elle ne veut pas détruire la richesse, elle prétend s’en emparer. Ce n’est pas l’esprit chrétien qui la pousse, l’esprit de renoncement et de sacrifice, joyeusement détaché des biens de ce monde. Tout au rebours, le socialisme, chez le peuple, n’est guère que le syndicat des appétits et le formulaire des convoitises. Dans les guerres civiles du royaume de Mammon, satisfaits et mécontens sont, en réalité, imbus du même esprit, les uns voulant prendre, les autres voulant garder. Deux égoïsmes aux prises.

Les classes en possession du pouvoir en ont, de tout temps, fait un moyen d’arriver à la richesse. Ainsi, à son tour, la démocratie. Je ne sais si elle y apporte plus d’âpreté ; mais ce qui était facile aux aristocraties, nobiliaires ou bourgeoises, lui est singulièrement plus malaisé. Tous les citoyens ayant part à la souveraineté, tous prétendent avoir part aux profits du pouvoir. « Enrichissez-vous, » disaient, à leurs électeurs censitaires, les ministres de l’oligarchie bourgeoise. « Enrichissez-nous, crient, à leurs élus, les masses du suffrage universel ; donnez-nous ce qui, jusqu’à présent, a été le lot du petit nombre : bien-être et loisir. » Ce n’est rien moins qu’un miracle, une sorte de multiplication instantanée des richesses, avec diminution du travail, c’est-à-dire du grand facteur de la richesse, que promet aux multitudes l’extrême démocratie. Elle me fait songer aux alchimistes qui s’ingéniaient, sous la protection des princes, à transmuer en or le cuivre et les métaux vils. Elle cherche, elle aussi, la pierre philosophale. Elle s’est engagée, vis-à-vis des peuples, à fondre à nouveau les sociétés. Elle a beau avoir pour creuset l’Etat, et pour moule la loi, si elle réussit jamais, il lui faudra des siècles.

En attendant qu’elle annule le pouvoir de l’argent par le transfert de la richesse à tous, la démocratie semble offrir plus de prise à l’argent qu’aucun des régimes qui l’ont précédée à l’empire. Jamais peut-être Mammon n’a tenu plus de place dans la vie publique des nations chrétiennes ; aussi, quand elles seraient dirigées contre lui, il ne semble pas que les révolutions prochaines doivent de sitôt mettre fin à son règne. C’est un souverain malaisé à renverser, car, pour le détrôner, il ne suffit pas de proclamer sa déchéance.


III

L’intrusion de l’argent dans la politique est un des symptômes les plus alarmans de notre malaise social. La politique redevient