Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 122.djvu/787

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aux miracles révolutionnaires, cette opinion si contestable, d’après laquelle la France serait sortie de la crise complètement métamorphosée. Il nous annonce en effet, dès les premières pages, qu’un nouvel être va se substituer à l’ancien, et parmi les traits de ce nouvel être, il nous cite : les communes, ces divisions aussi vieilles que le sol gaulois ; — le Concordat, cet arrangement renouvelé de l’ancienne monarchie ; — les tribunaux, dont les degrés reproduisent, en la simplifiant, l’antique organisation judiciaire ; — l’Université, fille de l’absorbante université de Paris ; — l’Institut, dont la principale classe fut fondée par Richelieu ; — les préfets, cette monnaie des intendans ; — la centralisation enfin, dont Tocqueville, qui la détestait, a mis au jour les anciennes et profondes racines.

Qui le croirait ? sur les véritables origines de la France, sur la longue lutte du pouvoir monarchique et des nobles, sur le rôle de l’Eglise, non seulement Taine se contente des notions courantes, mais il raisonne a priori. Son tableau de la « structure de la société » est une fresque de Puvis de Chavannes sur laquelle on aurait jeté quelques touches de couleur violente et crue. Le clergé, c’est le distributeur patenté de la morale publique ; son rôle est d’ajouter « au pain du corps celui de l’âme ». La féodalité est une « gendarmerie à demeure où, de père en fils, on est gendarme » ; et tout le régime est déduit de cette définition sommaire. Quant à la royauté, qui pendant si longtemps devait être, à vrai dire, toute la France, trois lignes lui suffisent. Le roi a été « le chef de la défense publique » ; et c’est tout ! Que m’importe qu’on nie représente « l’évêque en chape dorée », le vicomte couchant avec ses cavaliers, « ôtant un éperon quand il a chance de dormir », le roi du XIIe siècle « le casque en fête et toujours par chemins » ? Sous le casque, la cuirasse ou la chape, je reconnais bien vite de pures abstractions, des fonctions sociales sur lesquelles on a passé à la hâte une couche de couleur historique. L’auteur est si bien dominé par son raisonnement, que lui, l’implacable ennemi des idées pures, devient une sorte de notaire du contrat social, et, mesurant l’apport de chacun, pèse gravement les « services et les récompenses » : justice distributive tout à fait contraire à l’esprit scientifique dont il donne plus loin de si cruelles définitions. Pas un mot des diverses transactions intervenues entre le pouvoir temporel et le spirituel, entre le monarque et les nobles, entre l’autorité centrale et les provinces, qui sont, beaucoup plus que les services rendus, la véritable origine de tant de privilèges dont on va nous montrer l’abus. Rien sur les difficultés en partie insolubles contre lesquelles se débattait la monarchie pour maintenir et défendre un État de 26 millions d’habitans. Ce