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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 122.djvu/875

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franchir la hauteur de quarante-six mètres, et dans les rues de douze mètres, trente-sept mètres et demi ; dans les autres, trente mètres ; mais qu’il serait loisible aux orgueilleux de se bâtir des tours et des coupoles dont la surface en plan « n’excéderait pas quinze pour cent de la surface entière du terrain. Toute liberté était laissée pour le toit à la condition que son ombre ne se projetterait pas dans la rue à plus de soixante pour cent. Mais au dire de M. Emperger cette réglementation n’est pas très rigoureusement observée et ne saurait même l’être, car la loi américaine, supérieure à toutes les règles municipales, ne limite pas le droit du propriétaire à s’élever au-dessus des nuages, si telle est son ambition. Il y a lieu de penser cependant que désormais le mou veinent d’ascension est, sinon arrêté, du moins modéré et ne dépassera plus quinze à dix-huit étages. C’est suffisant. Les hautes bâtisses de Chicago n’ont pas toutes été exécutées de manière à braver le feu ou les ouragans ; on peut même craindre que l’argile trempée par les eaux du lac ne fuie sous la pression de quelques murailles. Un seul accident suffirait pour détruire l’espérance conçue par les bâtisseurs de conquérir le ciel par la voie des ascenseurs.

La question se pose ici de savoir s’ils ont conquis la terre à leur système et s’ils ont imposé à l’art de bâtir une forme nouvelle.

Ce qui frappe tout d’abord à l’aspect de ces maisons colossales, c’est le défaut de proportions. Elles sont hautes, mais étroites. Même dans celles de Chicago où faire des constructions est généralement plus grande qu’à New-York, la hauteur paraît démesurée auprès des autres termes de comparaison. En architecture c’est un vice capital. Défaut de proportions implique défaut d’harmonie. Sans harmonie entre toutes les parties qui la constituent, une architecture n’est plus qu’une bâtisse dont la laideur peut aller jusqu’à la monstruosité. Vainement prétendra-t-on que satisfaction donnée aux besoins, expression extérieure de la destination, traduction plus ou moins exacte des mœurs, des usages, des habitudes, des travers même d’une époque et d’une nation, sont les élémens complets et suffisans pour constituer un art et lui imprimer un caractère de beauté ; l’œil et à sa suite l’esprit se révolteront contre ces formules boiteuses, si elles ne sont encadrées dans l’exécution matérielle par des saillies, des jeux d’ombre et de lumière pondérés entre eux, et surtout par des dimensions choisies et calculées qui se prêtent un mutuel appui au lieu de se heurter et de se contredire.

Les architectes américains, qui sont, pour la plupart, des artistes avisés autant que d’habiles constructeurs, ont bien saisi ce défaut. Leurs études leur ont appris que les architectures hautes doivent