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Frédéric-Guillaume III de critiquer le programme financier d’Altenstein et d’y opposer ses propres idées. Il nous est difficile d’envisager sans quelque scepticisme le débat où furent opposés les programmes financiers des deux rivaux, chacun suppléant par de vastes projets au vide trop réel de la caisse.

Hardenberg avait des vues d’une autre portée que celles d’Altenstein, mais il était dès cette époque très accueillant aux chevaliers d’industrie, très accessible aux influences d’ordre inférieur et aux conceptions fantaisistes qui pouvaient éclore dans ces milieux.

Si le conflit des programmes financiers était plus apparent que réel, il masquait une rivalité qui n’était point de pure forme, une hostilité même assez aiguë. Hardenberg travaillait à la demande et avec l’autorisation du roi, à saper les projets du ministre titulaire. Il demandait aux collaborateurs mêmes d’Altenstein les renseignemens qui lui étaient nécessaires. Il les appelait à lui pour l’aider dans son travail. Et si Altenstein faisait quelque difficulté pour répondre à ses questions, tous les subordonnés du ministre des finances se rendaient spontanément aux désirs de Hardenberg. Niebuhr fut le seul qui manifesta quelque résistance. La situation, malgré les tentatives de conciliation de Scharnhorst, devenait ainsi de plus en plus tendue et presque ridicule. Altenstein en manifestait une vive irritation. Au début du mois de juin, quelques jours avant sa chute, il avait chargé le président de la police de Berlin, qui se nommait Gruner, d’observer les allées et venues de l’entourage de Hardenberg ; mais celui-ci, qui tenait déjà plus qu’à demi entre ses mains le gouvernement et l’administration, avait, avant même Altenstein, mandé le même Gruner, et, en lui révélant la mission royale dont il était investi, l’avait de son côté engagé à surveiller les ministres. En bon policier, Gruner sut cumuler avec tact sa double mission tant que cette situation indécise se prolongea[1]


IV

Ce serait cependant une erreur de juger exclusivement le ministère Altenstein-Dohna sur l’impuissance des deux ministres dont la tradition historique lui fait porter les noms.

Les événemens de 1809, en remettant en question la

  1. Erinnerunyen aus dem Leben des General-Feldmarschalls Hermann von Boyen, II, p. 61.