Dans un village appelé Sajaina, les Thugs, fameuse organisation de criminels, avaient attaqué un convoi, saisi 4 500 piastres, tué plusieurs hommes, et aussitôt disparu. Les habitans du village avaient recueilli leurs victimes et enseveli leurs morts. La justice naturellement vint faire son enquête. Elle ne trouva devant elle que des aveugles ou des muets. Personne n’avait rien vu ni rien entendu. Une attaque ? un convoi pillé ? des morts d’hommes ? Nul ne savait ce que Son Honneur voulait dire. Son Honneur insista et finit par obtenir cet aveu : que, leurs amis étant morts, l’argent volé étant loin, et le gouvernement n’étant sans doute pas disposé à le rendre, on ne pouvait, à se plaindre de maux irréparables, qu’attirer sur soi, par une déposition publique, des malheurs nouveaux. Afin de délier les langues, le juge, pour une fois, s’engagea à indemniser les victimes et à ne pas les faire comparaître en justice. Aussitôt les témoins affluèrent, et les meurtriers purent être arrêtés. Cela se passait il y a bien des années. Mais l’annotateur des Mémoires de sir W. H. Sleeman ajoute : « De nos jours, des difficultés du même ordre arrêtent constamment l’action de la justice criminelle aux Indes. » N’est-ce pas là une de ces particularités, sans intérêt pour des magistrats européens, qu’il est indispensable de signaler à de futurs magistrats des Indes ?
Un magistrat célèbre, sir Erskine Perry, qui occupa les fonctions éminentes de Chief Justice à Bombay, fait, dans un de ses arrêts, cette déclaration de principe[1] : « Je pourrais m’appuyer, pour soutenir cette opinion, sur la réponse affirmative d’un des témoins. Mais c’est une particularité du caractère hindou qu’une question posée d’une certaine façon par un supérieur amène toujours la réponse qu’on croit que ce supérieur désire. » Ailleurs, le même sir Erskine Perry professe cette doctrine : que les magistrats des colonies chargés de juger des indigènes, dont les sentimens et les mœurs sont pour eux si pleins d’inconnu, pécheraient contre toute sagesse s’ils tranchaient les questions sans s’appuyer sur des précédens.
Ne sont-ce pas encore là des enseignemens qu’il faut absolument donner aux magistrats des colonies ?
Ces exemples, qu’on pourrait multiplier, paraissent suffisans pour justifier la pratique constante de l’India Office de ne nommer aux Indes que des magistrats spécialement préparés à leurs fonctions, et pour engager le ministre des Colonies en France à ne
- ↑ Cases illustrative of oriental life, and the application of english law to India. 1 vol. in-8o. S. Sweet, London, 1858, p. 228. Opium Cases, Crawford ; et Ecclesiastical pretention, p. 338.