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hardie et de large envergure : elle ne hante pas les sommets ; elle séjourne à ras de terre, ne s’élevant qu’à peine et tout juste à la hauteur où fleurissent les fleurs de Dieu.

Gracieuses le plus souvent, les images chez François de Sales ne sont pas toujours d’un goût irréprochable. Il y a de l’afféterie déjà à tenir les bons livres pour « des lettres missives que les saints vous eussent envoyées du Ciel pour vous montrer le chemin[1]. » Il y a de la mièvrerie dans ce conseil : « Avant votre souper il vous faut faire un petit souper, au moins une collation dévote et spirituelle[2]. » Mais quelle étrange comparaison lui inspirent les sécheresses de cœur : « Ne pouvant présentera notre cher Époux des confitures liquides, présentons-lui-en de sèches[3] ! » Et que dire de ceci : « Il y a des fruits comme le coing qui pour l’âpreté de leur suc ne sont guère agréables qu’en confiture… Ainsi les femmes doivent souhaiter que leurs maris soient confits au sucre de la dévotion, car l’homme sans dévotion est un animal sévère, âpre et rude[4] » ? Toutes ces gentillesses nous choquent plus qu’elles ne nous étonnent ; nous ne les connaissons que trop pour les avoir retrouvées dans la littérature spéciale des confréries et des Sacrés-Cœurs. — Il est surtout un répertoire de comparaisons où il nous fâche bien que François de Sales ait tant puisé : ce sont les livres de Pline l’Ancien. Qu’il acceptât les données fantaisistes de l’histoire naturelle de son temps, nous ne saurions lui en vouloir. Mais il semble qu’il ait collectionné les singularités les plus bizarres et les particularités les plus saugrenues pour en faire connue autant d’argumens en faveur de l’excellence de la dévotion. On est surpris d’entendre comme il se peut que la nécessité de la vertu soit prouvée par l’herbe aproxis, qui reçoit et conçoit le feu aussitôt qu’elle le voit ; par le miel d’Héraclée, qui est vénéneux ; par la salamandre, qui éteint le feu dans lequel elle se couche, et par les perdrix de Paphlagonie, qui ont deux cœurs. Les curiosités de l’histoire naturelle jouent dans l’œuvre de François de Sales le même rôle que dans celle de Bernardin de Saint-Pierre la préoccupation des causes finales. On entre en défiance ; on est mis en garde contre un auteur qui, malgré tout, accepte avec trop de complaisance tant d’histoires extraordinaires. Comme il arrive, ce premier scrupule en amène d’autres. Ou se demande s’il n’y a pas dans tout cela bien de la mignardise et bien de la coquetterie, s’il convient de charger de tant d’ornemens la parole sacrée, s’il n’y a pas désaccord entre l’ordre des idées et l’expression, et si la morale évangélique ne réclame pas un style plus dépouillé, plus sévère, et plus grave.

Or, autant l’objection porte contre tous ceux qui, venus après

  1. Introd., p. 107.
  2. Introd., p. 90.
  3. Introd., p. 329.
  4. Introd., p. 38.