réussi qu’à faire rire. Et il ne s’occupait déjà plus qu’à battre en retraite le plus convenablement possible, lorsque la bombe du restaurant Foyot a couvert Paris du bruit strident de sa détonation. Alors, on n’a plus songé à M. Poubelle, ni au Conseil municipal. Le vaudeville s’est changé en drame, et les esprits qui étaient lancés dans la voie de la gaîté ont été brusquement rappelés à des réalités attristantes.
Matériellement, les bombes qui ont éclaté sur divers points de Paris n’ont pas fait jusqu’à ce jour beaucoup de dégâts ; le nombre des victimes est restreint ; encore faut-il y compter un anarchiste. Mais la multiplicité et la répétition de ces crimes révèlent une maladie morale d’un caractère grave. Est-ce une épidémie qui passera comme tant d’autres, après avoir épuisé ses germes malfaisans ? Des précédens assez nombreux permettent de le croire. Sans remonter bien haut dans l’histoire, n’avons-nous pas vu, il y a quelques années, la Russie en proie au nihilisme ? Et, certes, le choix des victimes, la précision et l’odieux succès des attentats, rendaient le nihilisme plus redoutable encore que ne l’est notre anarchisme. La crise, pourtant, paraît être passée. Sans doute passera-t-elle de même chez nous. L’anarchisme subsistera en tant que doctrine, mais le nombre de ceux qui mettent la théorie en pratique sous une forme violente est toujours restreint ; la disparition des uns, la lassitude des autres, l’inutilité d’efforts aussi périlleux, l’horreur générale qu’ils inspirent, finiront par produire le découragement et l’abstention. L’épidémie passera, à la condition d’être sérieusement combattue, mais elle ne manquera pas de se reproduire si les causes qui l’ont engendrée subsistent et continuent d’agir comme autrefois.
Il faudrait faire une longue et patiente analyse des conditions dans lesquelles se meut la société actuelle pour déterminer chacune de ces causes. Qu’il y ait des défauts dans cette société, et surtout qu’il y ait des misères et des douleurs, nul ne le conteste ; mais il en a été ainsi dans tous les temps, et, malgré le progrès presque ininterrompu qui atténue ces défauts et ces misères, la douleur ressentie reste toujours sensiblement égale à elle-même. À mesure que nous avons mieux, nous voulons mieux encore, et les besoins satisfaits en font naître de nouveaux. Gardons-nous de nous en plaindre : il n’y aurait plus de progrès s’il en était autrement. Ceux qui cherchent toujours à améliorer le sort de l’humanité ont toujours raison ; mais où ils commencent à avoir tort, c’est lorsqu’ils méconnaissent le bien pour faire mieux ressortir le mal ; c’est lorsqu’ils appuient cruellement sur ce dernier pour en rendre la sensation plus aiguë et pour arracher à ceux qui souffrent un cri de désespoir ou de fureur ; c’est lorsqu’ils représentent la société actuelle comme la simple juxtaposition d’exploiteurs et d’exploités, et qu’ils empruntent des expressions au romantisme le plus farouche pour nous faire croire que nous vivons dans un bagne, où