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dans la conspiration des patriotes ? ou bien avait-il réellement trouvé son chemin de Damas, et aspirait-il à être, à la tête du gouvernement prussien, un premier ministre de la Confédération germanique, un délégué agréable à l’Empereur ? Son goût pour la centralisation française pouvait fort bien en faire un Montgelas prussien[1].

Singulier symptôme de l’état moral de la Prusse, et d’un sentiment national encore confus et naissant à peine, que l’on pût se demander encore, après 1806 et après 1809, si le premier ministre de la monarchie prussienne serait un ministre français.

Hardenberg n’était vraisemblablement ni d’un côté ni de l’autre. Ce n’était point, comme dit Marwitz, un homme à principes. Il est probable qu’il suivait, en politique délié, le cours des événemens, se pliant aux circonstances, les subissant sans répugnance, et attendant avec une sage réserve ce que l’avenir pourrait amener.

La situation de l’Europe commandait d’ailleurs cette attitude prudente. La puissance de l’Empereur avait été provisoirement consolidée et semblait même à son apogée.

L’Europe centrale avait devant elle trois années de paix relative : et en Prusse, les ardeurs patriotiques les plus déterminées avaient dû être désarmées par une succession de déboires. C’était manifestement une période de détente et de résignation qui commençait.

Mais, sur un point du moins, Hardenberg n’était point disposé à transiger. Il voulait une autorité indiscutée, et sut imposer ses conditions au roi. Il refusa net de conserver le personnel du précédent ministère. Altenstein, Beyme, Nagler durent se retirer, Niebuhr ne pouvait demeurer, Dohna ne restait ministre que provisoirement. Enfin Napoléon avait condamné Scharnhorst à une retraite au moins apparente. Hardenberg rentrait donc en maître dans la politique prussienne.


G. CAVAIGNAC.

  1. Duncker, Abhandlungen zur preussischen Geschichte, p. 333. — Mamroth, p. 226. — Pertz, Das Leben des Ministers Freiherrn von Stein, II, p. 572. — Erinnerungen aus dem Leben des General-Feldmarschalls Hermann von Boyen, II, pp. 79, 80, 81.