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laquelle voltigent les autres voix. Enfin les hommes se retirent, et les femmes, auxquelles reste toujours le dernier mot en cette comédie, lancent encore une fois ensemble, à l’adresse du séducteur qu’elles ont résolu d’éconduire, leur éclat de rire et leur défi joyeux.

Tout différent est le style des deux duos, l’un entre Mrs Quickly et Falstaff, l’autre entre Falstaff et Ford, qui composent le tableau suivant. Mrs Quickly vient, au nom des deux dames, prier Falstaff de se rendre auprès d’elles. La musique ici change d’allures, de langage. Ce n’est plus seulement dans la rapidité des rythmes qu’elle cherche et trouve l’esprit : c’est dans l’intensité de certaines notes riches de sens et de sève, c’est dans la savoureuse brièveté de certaines formules, presque de certaines exclamations. Mais c’est toujours aussi dans la grâce et l’agilité, témoin le plaisant : De deux heures à trois, ces deux petits triolets, dont le musicien au cours des deux duos a tiré la plus vive et la plus spirituelle symphonie.

Volontiers nous nous arrêterions au duo de Falstaff et de Ford, pour en louer l’abondance musicale, la vérité et la variété psychologiques, les merveilles mélodiques et instrumentales, pour en signaler surtout la fin, le motif à la fois élégant et comique, sur lequel, au seuil de la porte, les deux compères se font leurs civilités. Mais nous avons hâte d’arriver au centre de l’œuvre, à ce qui en est véritablement et le cerveau et le cœur.

Pour leur malicieuse vengeance, les joyeuses commères ont tout préparé. Voici le paravent, et voici le panier à linge où tout à l’heure le gros Falstaff sera réduit à se cacher.


Gaje comari di Windsor! E l’ora!
L’ora d’alzar la risata sonora!


Ainsi chantent les aimables femmes dans l’original italien, et toute la verve de la comédie pétille en cette chanson à la gloire du rire, du rire féminin, du beau rire d’or. Du rire honnête au moins, de bon aloi et de bonne compagnie, car je sais, dans l’étincelant trio, telle phrase d’Alice ; moins que cela : tel accord mineur, aussi distingué que le majeur eût été vulgaire, qui ennoblit toute cette gaité et révèle en ces femmes d’esprit des femmes de bien. Savez-vous à qui Verdi ressemble ici? A Molière autant qu’à Shakspeare. Verdi n’est plus seulement un maître du drame lyrique, il est un maître du cœur humain. Jamais encore il n’y avait lu si avant ni si finement, et le progrès le plus merveilleux de son génie est celui qu’il a fait dans la connaissance des âmes. L’homme qui a su représenter ainsi avec les sons ce milieu bourgeois, cette famille qui gaîment et honnêtement s’amuse ; l’auteur de cette comédie musicale de mœurs et de caractères, celui-là peut-être serait capable d’écrire demain la partition de Tartuffe. C’est à la table d’Elmire que s’assied Mrs Ford pour attendre Falstaff, c’est avec l’honnêteté