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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 123.djvu/233

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et la malice de la femme d’Orgon qu’elle le reçoit. Écoutez sa réponse aux déclarations du galant : coquette, mais d’une coquetterie franche et sûre de soi. La phrase musicale rappelle de très près une phrase de Desdemona abordant Otello. C’est la même pureté, souriante ici, là-bas mélancolique ; ce sont les deux aspects, l’un heureux et l’autre triste, de la même beauté.

Quelle petite merveille encore, et de musique et de psychologie, que le scherzetto déjà fameux : Quand j’étais page du sire de Norfolk ! Comme une telle mélodie est formelle et plastique ! Comme on peut en quelque sorte l’isoler pour la regarder dans tous les sens et en faire le tour! La voilà, la musique qui ne devient pas, mais qui est; qui ne fuit pas, mais qui demeure. Et là encore Falstaff est tout entier. Il y est avec son esprit fringant, sa fatuité, avec le regret aussi, témoin deux ou trois notes graves d’une flûte furtive, avec le regret de sa svelte jeunesse, avec l’élégance enfin, la race et le sang du gentilhomme shakspearien, que le désordre et la débauche n’ont pu complètement avilir.

Mais au beau milieu du duo Mrs Quickly accourt, annonçant le mari: Falstaff n’a que le temps de se blottir derrière le paravent. Voici le centre et le nœud du chef-d’œuvre, le finale du panier. Tout y est admirable : l’intensité de la vie, les dimensions, les proportions et l’ordre; oui l’ordre parfait, car il y a de l’eurythmie jusque dans ce vertige, et ce tourbillon est une harmonie. A l’orchestre courent deux motifs principaux, l’un fait de notes piquées, l’autre, le plus important, de notes liées au contraire, tournant en spirale folle, et qui rappelle un peu le finale de la symphonie en si bémol de Beethoven. C’est sur le second motif que va se dérouler la poursuite endiablée.

Voici Ford avec ses compagnons, et la chasse commence. Le thème enragé la conduit et l’excite. C’est lui qui court devant ; il passe, repasse, sort et rentre par les portes furieusement ouvertes ; il fouille la maison de la cave au grenier ; d’un bond il franchit l’escalier ; il bouscule les meubles, vide les bahuts, les tiroirs, et s’élance au dehors, cherchant partout l’introuvable gros homme. Celui-ci, profitant de l’accalmie, se blottit dans le panier où le tassent les commères; aussitôt, derrière le paravent les petits amoureux viennent prendre sa place, et dans le silence momentané qui s’établit, c’est un charme d’entendre leur jeunesse chanter. Mais soudain la meute des poursuivans rentre et reprend sa course. Le motif aussi reprend à plein orchestre, et prodigieux est l’effet de cette secousse brutale, sans préparation, qui d’un seul coup redonne le branle à la symphonie. Haletante, elle s’arrête bientôt une seconde, et derrière le paravent sonne un baiser. Cette fois, croyant enfin tenir les coupables, Ford et sa troupe se taisent et se concertent. Alors peut se développer à l’aise, et sans guère manquer à la vérité dramatique, le plus adorable ensemble. Du panier s’exhalent les