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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 123.djvu/255

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ses quartiers ; le maréchal trouvait au rendez-vous dix mille cavaliers ou dragons et douze mille soldats d’infanterie Lorges et Vaubrun étaient ses lieutenans généraux. Au même moment, Montecuccoli, achevant de traverser la Forêt-Noire, s’arrêtait au débouché d’Oberkirch ; ses éclaireurs poussaient jusqu’à Kehl, et il échangeait des complimens avec le magistrat de Strasbourg. Turenne coupe court à ce manège ; sans perdre une minute, il s’avance à Benfeldt et fait dire à Strasbourg qu’il ira plus loin s’il le faut. Les magistrats protestent aussitôt de leur neutralité (23 mai); le pont de Kehl ne sera pas ouvert aux ennemis de la France.

Mais déjà l’armée impériale s’éloigne, va menacer Philisbourg, fait mine d’aller chercher les dix-huit mille hommes que Sporck et le prince Charles de Lorraine[1] réunissent près de Francfort, puis subitement se montre sur la rive gauche du Rhin; quelques détachemens sont dirigés sur la Basse-Alsace. Turenne ne s’émeut pas; il a pénétré le projet de son adversaire et ne se laissera pas attirer loin de Strasbourg. Jetant un pont à Ottenheim, il traverse le Rhin et va camper fièrement à Willstett sur la Kinzig, à quatre lieues de Strasbourg. Voilà le pont de Kehl bien barré (8 juin).

Montecuccoli est percé à jour. Il comptait entrer triomphalement en Alsace, et voici la guerre reportée sur la rive droite du Rhin. Il s’arrête à Lichtenau, la droite au fleuve, à sept lieues de son adversaire (11 juin), puis il gagne le pied des montagnes, chemine sur les dernières pentes, s’établit à Offembourg. Les éclaireurs des deux armées se rencontrent à chaque instant. Dans sa belle position centrale de Willstett, il suffit à Turenne d’un simple changement de front pour fermer l’accès du pont de Kehl ou pour protéger celui d’Ottenheim. C’est ce dernier point qui est surtout menacé.

Quelque habilement que Turenne ait disposé ses troupes entre Willstett et le fleuve, de façon à pouvoir les réunir en quelques heures, sa ligne est trop longue ; pour la resserrer, il rapproche son pont et le fait descendre deux lieues plus bas à Altenheim. L’opération est terminée le 26 juin.

  1. Ancien gardien de pourceaux des environs de Paderborn, Sporck était, en 1644, colonel dans l’armée de Mercy; s’étant associé alors à la trahison de Jean de Wirth (voir t. IV, p. 440), il devint un des généraux de l’Empereur. Au mois de juin 1675, il fut renvoyé chez lui ; « la vieillesse lui avait abattu l’esprit et le courage ». — Le prince Charles de Lorraine, neveu du duc Charles IV, auquel il succédera, sans lui ressembler, tout en restant comme lui un souverain sans terres : habile général, esprit élevé et beau caractère. « C’est le plus grand, le plus sage, le plus généreux de mes ennemis, » disait de lui Louis XIV. Il avait vaillamment combattu à Seneffe à côté de son cousin, Vaudemont.