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Nous ne suivrons pas les deux capitaines dans le détail, fort intéressant d’ailleurs, de leurs mouvemens. La figure ci-jointe indique les points entre lesquels ils se meuvent, se fractionnant souvent, détachant des postes, des partis. Montecuccoli s’applique à rétablir ses communications avec les impérialistes de Strasbourg, à s’ouvrir le chemin du pont de Kehl; s’il peut en même temps détruire celui d’Altenheim, son adversaire se trouvera à sa merci, contraint de remonter jusqu’à Brisach ou de descendre jusqu’à Philisbourg pour y repasser le fleuve, non sans péril même de perdre l’une ou l’autre de ces deux places et de voir sombrer la fortune de la France en Alsace.

Tel est l’objet des marches qui le rapprochent successivement de Lichtenau, d’Urloffen et d’Offembourg, l’en écartent ou l’y ramènent. Turenne sait que l’enjeu est la possession de l’Alsace, objet des convoitises de ceux qui ne l’ont jamais possédée, — car personne ne songe à la replacer sous la faible et bénigne tutelle du Saint-Empire Romain; — aussi le maréchal apporte à déjouer le dessein de son adversaire presque autant de finesse, avec plus d’activité et d’audace; Montecuccoli le retrouve partout. C’est ainsi qu’à l’exercice de l’épée on rencontre de ces poignets de fer dont les parades rigides usent les forces de l’adversaire et finissent par le mettre hors d’état de soutenir sérieusement une attaque.

Cependant le feld-maréchal a le bras souple. Rarement il abandonne ses vues : il en remet l’exécution à d’autres temps, et, pour se ménager une reprise, il pousse parfois la prévoyance jusqu’à prendre des mesures qui ne sont pas sans péril. Ainsi, lorsqu’il ramène son armée sur les bords du Rhin, à l’embouchure de la Rench, près de Lichtenau et du point où il avait déjà franchi le fleuve (5 juillet), il laisse Caprara avec cinq mille hommes à Offembourg, afin de conserver au pied des montagnes un poste qui permette de reprendre les premières manœuvres. Mais Turenne a mis Willstett et Altenheim en état de ne rien craindre de Caprara, et il marche vers le nord sans abandonner les lignes intérieures, dont la possession lui assure un avantage marqué. Le jour où son adversaire campait à l’embouchure de la Rench, lui-même prenait position en face, la gauche au Rhin, près de Freistett. Là il trouve des bateaux, jette des postes dans les îles, communique avec Haguenau, se sert du Rhin pour vivre, tandis qu’il intercepte tous les secours qui, par la même voie, pourraient être envoyés de Strasbourg à l’ennemi. Sa tête de pont, son poste central de Willstett, passage de la Kinzig, sont parfaitement retranchés. Ces trois camps, toujours approvisionnés en vivres et munitions, reçoivent les éclopés, servent de dépôt et de magasins.