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français s’étaient enfermés dans un solide bâtiment. Les protestans vainqueurs tentaient de l’incendier, quand un détachement de troupes anglaises vint délivrer les assiégés et les conduisit en sûreté dans le fort de Kampala. Les catholiques, dans leur retraite, avaient emmené le roi Mouanga et s’étaient réfugiés dans l’île de Bulingugwé, située dans le lac Victoria, mais près de la terre ferme. Ils y furent rejoints par les missionnaires. La fuite du roi embarrassait fort les Anglais : les cruautés de Mouanga n’ont pas altéré le loyalisme de ses sujets à son égard et, sans roi, il était impossible au capitaine Lugard de gouverner. Aussi, pour terroriser les catholiques et obliger Mouanga à revenir dans sa capitale, ordonna-t-il, le 30 janvier, la mise en batterie d’une mitrailleuse en face de l’île de Bulingugwé. Les catholiques furent canonnés ; puis les protestans entrèrent dans l’île, pillant, rudoyant les missionnaires, réduisant en esclavage les femmes des catholiques. On se rappelle le retentissement qu’eurent ces événemens en Europe et les polémiques qu’ils suscitèrent.

Si l’attitude du capitaine Lugard dans la journée du 24 janvier ne nous semble pas mériter tous les reproches dont elle a été l’objet, — car il n’est pas intervenu avant le moment où son fort allait être envahi par les catholiques victorieux, avant d’être dans le cas de défense légitime, — sa conduite du 30 janvier a été en revanche véritablement odieuse. Cette mitraillade, froidement conçue, d’hommes sans défense, de femmes et d’enfans, est un acte de brutalité atroce qu’aucun motif ne saurait justifier. Cette triste manœuvre manqua son effet. Dès l’ouverture du feu, Mouanga s’enfuit dans un canot et se réfugia dans le Buddu, province méridionale de l’Ouganda. Mais les Anglais obtinrent, grâce à la pusillanimité de Mouanga, ce que la violence n’avait pu leur donner. Sa crainte de perdre son royaume l’emporta sur toute autre considération. Le 30 mars 1892, il se décidait à signer un traité qui, plus encore que celui du 26 décembre 1890, affirmait sa dépendance à l’égard de l’Ibea.

On conçoit aisément que ces agitations et la crainte de voir le parti musulman en profiter pour fondre sur le royaume aient arrêté les officiers anglais dans toute velléité d’expédition vers la province équatoriale.

Bien plus, la situation même de la Compagnie dans l’Ouganda paraissait incertaine. L’expédition Jackson-Gedge, l’expédition Lugard, l’envoi de renforts sous le commandement du capitaine Williams, l’entretien d’une garnison dans le fort de Kampala, puis les dépenses causées par les études préliminaires d’une voie ferrée, devant relier Mombaza au lac Victoria, avaient épuisé les ressources