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sur les œuvres charitables de France et même de l’étranger plus de 3 000 dossiers. Si, comme on peut l’espérer légitimement d’après le succès de ses premiers efforts, son action s’étend et se généralise, si l’exemple est suivi dans toutes les grandes villes de France comme il l’est déjà à Bordeaux, à Marseille, si par l’intermédiaire de ces différens offices, les grandes œuvres de charité peuvent s’entendre et associer utilement leurs efforts, si enfin avec le temps et les années, car une pareille entreprise ne saurait être l’œuvre d’un jour, l’Office central arrive à mettre un peu d’ordre et de méthode dans l’action de la charité privée, il aura tout simplement rendu à la cause sociale le plus signalé des services : celui de réhabiliter la charité.


III.

La liberté, l’organisation, tels sont les deux desiderata de la charité privée. Tant qu’elle n’aura pas obtenu l’un et qu’elle ne sera pas arrivée à l’autre, elle ne remplira qu’imparfaitement sa tâche. Mais à côté de la charité organisée, il faudra toujours laisser sa place à la charité individuelle. Pas plus qu’il ne faut permettre à la charité publique de se substituer à la charité privée, il ne faudrait non plus que des offices, des sociétés, des congrégations même prétendissent à tout faire, et à devenir l’intermédiaire en quelque sorte obligatoire entre le pauvre et le riche. Il faut en un mot que l’individu demeure charitable à son gré et comme il l’entend. Mais comment doit-il l’être ? Comment bien faire la charité? En pareille matière il y aurait quelque chose de parfaitement ridicule à paraître s’ériger en professeur. Il ne saurait cependant être défendu de traduire l’expérience des autres et de résumer ce que cette expérience enseigne.

La première condition est que la charité ne soit pas aveugle et indistincte. Je me permets d’appeler ainsi toute aumône faite à un mendiant inconnu, que la mendicité s’exerce par lettre, à domicile ou dans la rue. Je sais combien une pareille assertion peut sembler dure, et je suis le premier à reconnaître que le principe ne saurait avoir rien d’absolu. Me faisant naguère l’honneur de parler de cette étude, M. Edouard Rod croyait pouvoir en pressentir la conclusion et il assurait que je proscrirais l’aumône. C’était aller un peu vite en besogne. Il y a là une question de fait et je dirais presque de divination. Je ne saurai jamais très mauvais gré à celui qui, frappé de l’air misérable d’un mendiant, porte la main à sa poche pour lui donner quelque chose, et je comprends très bien qu’on dise : Mieux vaut mal placer deux sous