démontrer qu’elle pèche par excès d’abstraction); mais, avant même que ce vice soit découvert, je la rejette sans hésiter. Car la raison ne saurait conduire légitimement à des conclusions dont ma conscience est révoltée : je me refuse à l’admettre un seul instant. Une philosophie que la conscience proclame inacceptable ne peut être que fausse. Et je revendique le droit de déclarer une doctrine inacceptable, si elle est en contradiction formelle avec des principes moraux que je ne puis abandonner sans cesser d’être moi-même. Par exemple, il n’y a pas de démonstration qui me fasse jamais accepter pour une vérité scientifique que la vertu soit dans la poursuite du bonheur individuel. La conscience me dit, au contraire, que la vertu commence avec l’effort contre l’égoïsme, et c’est la conscience que j’en crois. Vous ne me prouverez pas non plus que je n’ai rien à attendre après la mort, puisque j’ai le sentiment très net d’appartenir à une essence qui n’a rien de commun avec les composés périssables. Et enfin, en dépit de tous les argumens, je ne croirai jamais que je sois un automate, une horloge, un mécanisme dont les rouages fonctionnent aveuglément. Car je sais, — sans pouvoir le démontrer, mais qu’importe, puisque j’en suis sûr? — je sais que je suis libre, que j’ai la responsabilité de mes actes, que la faute ou le mérite en sont miens. Renoncer à ces convictions, à ces espérances, à ces certitudes, je ne le puis pas, je ne le veux pas. La philosophie qui prétend m’y contraindre, je la repousse de toutes mes forces. Elle exige de moi pire qu’un suicide : elle m’impose le sacrifice de ce qui fait ma dignité d’homme, ma conscience, ma raison d’être. Nous n’avons pas la « prescience » du vrai. Mais, malgré notre ignorance, nous en avons pourtant le « pressentiment » . Et ce « pressentiment », la science ne saurait le convaincre de fausseté. Car il emporte notre conviction mieux qu’aucune démonstration ne saurait faire. Verum index sui et falsi. La formule de Spinoza ne s’applique pas moins bien à la vérité qui se sent, qu’à la vérité qui se prouve. Le cœur, dit Pascal, a ses raisons, que la raison ne connaît pas.
Plus d’une fois, depuis Jacobi, des doctrines analogues ont reparu. Moins naïvement indifférentes à l’intérêt logique, elles sont toutes soucieuses, au fond, comme la sienne, de préserver de chères certitudes. On se rappelle le mot célèbre de Kant, dans la préface de la seconde édition de la Critique de la Raison pure : « J’ai donc dû supprimer le savoir (en métaphysique), pour y substituer la croyance. » Une des pensées maîtresses de son œuvre n’était-elle pas de rendre impossibles à l’avenir les conflits entre la science et la morale, en assignant à la science les bornes de son domaine légitime? Cette préoccupation est devenue, pour notre