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siècle, le problème philosophique par excellence. C’est ainsi que chez M. Renouvier, la théorie de la certitude et celle de la liberté, intimement liées, permettent une conciliation de la science et du libre arbitre. M. Boutroux, à un autre point de vue, explique qu’en métaphysique il n’y a pas de marque objective du vrai. En pareille matière, la certitude exige, pour s’achever, un élément d’adhésion volontaire, une acceptation, un choix. Différant en cela de la certitude proprement scientifique qui est toute générale et impersonnelle, la certitude métaphysique, comme le voulait Jacobi, s’individualise. La vérité ici ne s’impose plus par une démonstration logique uniformément valable pour tout esprit : il en est plutôt d’elle comme de la beauté, qui doit plaire à tous, et qui ne peut pourtant forcer l’admiration. On peut plaindre qui ne la sent pas, on ne peut pas le convaincre. Comme Pascal opposait à l’esprit de géométrie l’esprit de finesse, ainsi M. Boutroux distinguerait volontiers la (région de la science (où les objets se définissent et où se démontrent les lois), et, au delà un domaine métaphysique où l’âme entre pour une part dans la vérité qu’elle fait sienne. Enfin M. Secrétan et ses disciples n’hésitent pas à proclamer que le devoir, sous la forme de l’impératif catégorique, est le seul absolu qui nous soit accessible : toute doctrine que la conscience morale rejette est, selon eux, jugée sans appel. Ainsi se manifeste, de divers côtés, une tendance commune à ne pas laisser la fonction spéculative de l’esprit seule maîtresse et seul juge de ses démarches. On veut la soumettre, plus ou moins étroitement, à la tutelle de la conscience morale.


I.

Un grand nombre de causes ont concouru à engager dans cette voie la philosophie de notre siècle. Ces causes sont de tout ordre les unes proprement philosophiques, les autres scientifiques, religieuses et sociales. Parmi les premières, et au premier rang, il faut placer le développement toujours croissant des théories de la connaissance. Depuis les Méditations de Descartes, jusqu’à la Critique de la Raison pure, de Kant, l’occupation constante et l’on pourrait dire principale de la philosophie a été la réflexion de l’esprit sur ses fonctions et sur sa nature. De là sans doute les progrès de l’idéalisme, qui prenait dans l’étude des lois de la pensée une conscience toujours plus nette de lui-même. Mais de là aussi, chez d’autres philosophes, beaucoup plus nombreux, l’idée que la connaissance humaine est relative. Nous ne saisirions le réel que sous certaines conditions, et notre raison aurait des bornes au delà desquelles